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troupe du Comte. Déjà ses soldats découragés commençaient à tourner le dos et à chercher un asile dans les églises. Personne n’osait plus tenir dans la tour ; la porte massive, contre laquelle les royalistes avaient amassé des sarmens et du bois sec, était en feu et allait leur livrer passage. Alors, sur le point d’être forcés, les deux bâtards firent sonner la retraite. A la tête d’environ huit cents cavaliers ralliés à la hâte, ils sortirent de Tolède par la porte d’Alcantara au moment même où le roi y pénétrait par le pont de Saint-Martin, avec environ deux mille cinq cents hommes d’armes et six cents génétaires[1]. Il voulait traverser rapidement la ville et accabler ses frères avant que la nuit, qui approchait, ne couvrît leur retraite. Mais il n’y avait pas plus de discipline dans son armée que parmi les rebelles. Ses soldats se débandaient, forçaient les maisons, et s’amusaient à piller au lieu de suivre les fuyards. Le roi, mal accompagné, cherchait son ennemi dans les rues tortueuses de Tolède et voulait absolument combattre.

Cependant les deux bâtards, longeant la rive gauche du Tage, se retiraient sur Talavera, obligés de décrire autour de la ville un demi-cercle qui les ramenait sur la route qu’avait tenue l’armée royale. A l’entrée du pont de Saint-Martin, ils aperçurent les bagages du roi encore en deçà des tours et mal gardés ; car on ne s’attendait pas à voir l’ennemi paraître du côté où il venait d’être battu. Ils se jetèrent hardiment sur cette masse confuse de chars et de bêtes de somme, défirent l’escorte, et, après quelques momens donnés au pillage, continuèrent leur retraite en toute hâte. Le roi les poursuivit quelque temps et ne rentra qu’à la nuit close dans Tolède, furieux de n’avoir pu les atteindre[2].

Maître de la ville, car l’Alcazar s’était aussitôt déclaré pour lui, don Pèdre se montra aussi impitoyable qu’il l’avait été à Medina del Campo. Fernand Sanchez de Rojas, un des vingt ligueurs de l’entrevue de Tejadillo, blessé à l’attaque du pont de Saint-Martin, et Alphonse Gomez, commandeur de Calatrava, qui n’avait pu fuir de Tolède, furent mis à mort dès qu’ils eurent été reconnus. On égorgea tous les blessés que l’ennemi avait abandonnés dans les maisons. Plusieurs nobles de Tolède furent envoyés captifs dans des châteaux éloignés, ainsi que l’évêque de Sigüenza,don Pedro Barroso, dont le palais fut abandonné au pillage. Tous les biens des prisonniers furent confisqués ; enfin vingt-deux bourgeois eurent la tête tranchée publiquement comme fauteurs de la rébellion. Au nombre des malheureux condamnés à mort se trouvait un orfèvre âgé de plus de quatre-vingts ans. Son fils se jeta aux pieds de don Pèdre en le suppliant de le faire mourir à la place de son père.

  1. Ginetes cavaliers armés à la légère. Le mot de génétaires est employé par Froissart.
  2. Ayala, p. 181-187.