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comme le singe, il est malfaisant comme lui ; caressant et léchant son maître qui le frappe et l’enchaîne, comme le chien couchant, il bondit de joie quand on le délie pour aller à la chasse. » Rivarol, qui avait parlé aux ennemis de la révolution, dit un jour à Chamfort : « Vous avez perdu l’esprit dans vos fureurs contre la royauté. On ne peut aimer à la fois la république et les arts. Il faut un Louis XIV pour enfanter des Molière et des Racine. — Oui, répondit Chamfort, vous êtes de ceux qui pardonnent tout le mal qu’ont fait les prêtres, en considérant que sans les prêtres nous n’aurions pas la comédie du Tartufe. » Rivarol rappela à Chamfort qu’autrefois il était de ceux qui plaidaient pour la noblesse. « C’était, disiez-vous, un intermédiaire entre le roi et le peuple. — Oui, dit Chamfort, mais j’ai achevé la phrase ; oui, intermédiaire, comme le chien de chasse est un intermédiaire entre le chasseur et les lièvres. » Chamfort était alors jugé violent et dangereux. En 1790, il avait les sentimens révolutionnaires des démocrates de 1792. Comme contraste à lui-même, remarquons qu’en 1792, voyant ses idées triompher, il fut le premier à les condamner comme de mauvais enfans qui ont grandi loin du cœur paternel. Il avait appelé de tous ses vœux la révolution sociale : « Il faut recommencer la société humaine comme Bacon disait qu’il faut recommencer l’entendement humain. » Ainsi ce n’était pas seulement les mauvaises branches qu’il voulait abattre, c’était toute la forêt, « Il semble que la plupart des députés à l’assemblée nationale n’aient détruit les préjugés que pour les prendre, comme ces gens qui n’abattent un édifice que pour s’approprier les décombres. » Chamfort ne voulait pas qu’on prît de l’argile du monde ancien pour pétrir le monde nouveau. — Vous prêchez le désordre. — Quand Dieu créa le monde, répondit-il, le mouvement du chaos dut faire trouver le chaos plus désordonné que lorsqu’il reposait dans un désordre paisible. — Réformez, mais ne détruisez pas, lui disait-on encore. — Vous voudriez bien qu’on nettoyât l’étable d’Augias avec un plumeau !

Dans les clubs, Chamfort demandait la parole pour dire un mot. Il haïssait les discours. L’horloge des temps révolutionnaires va trop vite pour les rhétoriciens. Un soir, il monte à la tribune et annonce qu’il parlera du despotisme et de la démocratie. Voilà son discours tout au long : Moi, tout ; le reste, rien : voilà le despotisme. Moi, c’est un autre ; un autre, c’est moi : voilà la démocratie. Il voulut descendre, on s’y opposa. — La Rochefoucauld-Chamfort, parle-nous plus long-temps, dit un clubiste. — Dis-nous la vérité, lui cria une femme. — La vérité ? La vérité, c’est qu’il y a en France sept millions d’hommes qui demandent l’aumône et douze millions hors d’état de la leur faire. La vérité, c’est que Paris est une ville de fêtes et de plaisirs, où les quatre cinquièmes des habitans meurent de chagrin sous l’esclavage. Pauvre peuple sacrifié, pourquoi n’as-tu pas la fierté de l’éléphant, qui ne se reproduit