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qui, pendant quatre mois, sont restés noués entre les maîtres de l’état et ses perturbateurs ! Nous n’avons que faire ici des chroniques secrètes ; nous nous en tenons aux dates publiques : elles sont assez tristement célèbres. Le 17 mars, sous prétexte d’une conspiration bourgeoise contre la république, les principaux membres du gouvernement provisoire convoquent le ban et l’arrière-ban d’une armée qu’ils étalent par tout Paris, pour montrer ce que c’est que la force ouvrière. La commission d’enquête nommée ces jours-ci par l’assemblée nationale réussira sans doute à savoir combien a coûté cette levée en masse et à quels lieutenans elle obéissait. Cependant les ateliers nationaux s’organisent sur un pied plus complet. L’armée mercenaire qui s’était promenée le 17 mars se discipline dans l’ombre pour de semblables exercices. Ses chefs particuliers ne se croient plus obligés d’embrasser le gouvernement tout entier dans un même amour ; conduits par une inspiration qu’il faudra bien enfin démêler, ils prêchent leurs préférences parmi leurs soldats, et la force ouvrière marche une seconde fois, le 16 avril, pour venir proclamer en face du gouvernement tout entier les sympathies exclusives dont elle entoure un seul de ses membres. Du fond de son palais du Luxembourg, M. Louis Blanc distribue à ses corporations les écriteaux qu’elles attachent à leurs bannières : abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme ! Le gouvernement de l’Hôtel-de-Ville, qui n’avait point résolu l’énigme, courait grand risque d’être dévoré par le sphinx, et il n’aurait rien gagné du tout à l’avoir si long-temps cajolé. La garde nationale, pour qui ce gouvernement tel quel figurait encore l’ordre, se jeta heureusement en travers, et la révolution passa pour l’instant sans rien emporter. Le lendemain, à l’Hôtel-de-Ville, on accusait la réaction de cette émeute manquée, où l’on avait failli périr : c’était la réaction qui avait dicté les écriteaux de M. Louis Blanc ; M. Louis Blanc lui-même en parut persuadé. La vindicte publique n’eut ainsi personne à frapper, et cette puissance occulte, cette puissance de renversement et de ruine, vaincue sans être affaiblie, rentra impunément dans ses officines pour préparer plus à loisir des coups plus assurés. Arriva donc le 15 mai. L’anarchie était lasse de se mettre en complaisante à la disposition du pouvoir ; elle voulut enfin travailler pour elle-même, et, se montrant à cette heure-là tout à découvert, tant elle était certaine du triomphe, elle inspira soudain une telle horreur qu’elle fut domptée dès son second pas. Cette horreur salutaire du pays entier, le gouvernement seul ne la partagea point franchement ; ceux de ses membre qui s’y associaient de cœur n’eurent pas assez d’autorité sur leurs collègues pour les entraîner à leur suite, pas assez de décision pour rompre tous leurs liens. On se rappelle les obstacles que souleva l’instruction commencée contre l’attentat du 15 mai : l’attentat du 23 juin, en nécessitant un changement absolu dans la direction de la république, aura du moins enfin amené les investigations sérieuses qui éclaireront, pour tout le monde, cette trop longue série d’événemens déplorables. On aura peut-être le mot des démentis échangés entre M. Caussidière et la commission exécutive. On saura qui s’abusait, ou de la commission exécutive convaincue de l’innocence de M. Louis Blanc, ou de la justice convaincue de la nécessité de son arrestation.

Le 23 juin est la suite logique du 17 mars, du 16 avril et du 15 mai. Toutes ces misères trompées par de fallacieuses espérances, toutes ces ambitions déçues par des avortement répétés, les unes et les autrès-encouragées par l’impunité dont elles avaient joui jusqu’alors, par les alliances sur lesquelles elles comptaient