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Rien n’était exagéré dans ce qu’on nous avait dit des dangers qui menacent le navigateur sur cette partie de l’Araguaïl. Nous franchîmes plusieurs rapides, dans l’un desquels mon canot frappa trois fois sur des roches. Les jours suivans, nous surmontâmes plusieurs obstacles de même nature ; une des pirogues chavira, néanmoins personne ne périt. Les cascades devenaient de plus en plus redoutables. Il fallut des prodiges d’adresse pour franchir ces cataractes multipliées, sans nous briser contre les roches. Quatre jours s’étaient déjà passés en pénibles efforts contre ces obstacles sans cesse renaissans, quand nous atteignîmes la plus formidable des cascades, composée d’une succession de rapides de plus de deux lieues de long. L’on fut obligé tantôt de traîner les embarcations sur les pierres, tantôt de les lancer sur un courant furieux. L’équipage, qui ne cessa toute la journée de travailler dans l’eau, était tellement exténué, que nous ne pûmes exécuter la tâche entière avant la nuit, et qu’il fallut dormir sur les rochers ; le lendemain, nous sortîmes de cette dangereuse passe, et dès-lors la navigation eût été des plus agréables, si la faim n’avait commencé à nous faire sentir son aiguillon. Heureusement nous approchions d’un lieu de halte, et l’on jugera si ce fut avec joie que j’aperçus enfin, après quelques jours de diète forcée, le pavillon brésilien flotter sur le fort de San-Juâo das duàs Barras, situé un peu au-dessous de la jonction de l’Araguaïl avec le Tocantin.

Le fort de San-Juâo est construit sur une hauteur qui domine l’embouchure de l’Araguaïl dans le Tocantin. A notre approche, nous vîmes que tout y était dans la plus grande confusion ; la garnison avait pris nos embarcations pour une flottille de sauvages, elle était sous les armes, et il fallut montrer notre passeport impérial avant d’être admis dans la place. A peine arrivés, nous songeâmes à nous procurer des vivres ; mais notre déception fut des plus cruelles : la garnison ne se nourrissait que des envois qu’elle recevait tous les trois mois de la ville du Para, et l’on me dit que, par des circonstances inexplicables, il y avait retard dans les arrivages. Nous n’avions donc aucun espoir de nous ravitailler à San-Juâo. Je ne tardai pas non plus à m’apercevoir que le commandant du fort, malgré les protestations les plus serviles, conservait quelque défiance à notre égard, car, bien qu’à mon arrivée il eût voulu me remettre jusqu’aux clés de la place, cela ne l’empêcha pas de me déclarer le lendemain qu’il ne pourrait m’autoriser à descendre le Tocantin. La supériorité numérique étant du côté de mon escorte, j’ai lieu de croire qu’il eût été fort embarrassé de faire exécuter ses ordres, si mon intention avait été de les braver ; mais, après avoir exploré le cours de l’Araguaïl, je me proposais au contraire de remonter le Tocantin et de revenir ainsi vers Goyaz par un nouveau chemin. Le commandant n’avait aucune objection à faire contre ce projet : seulement,