Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ceci est pour le côté purement pittoresque et descriptif ; mais à la contemplation de la nature se mêlent des rêveries philosophiques et des souvenirs d’amour. L’immensité rend sérieux ; la bouche du poète, cet arc rouge qui décochait tant de sarcasmes, se détend. Éloigné du danger, c’est-à-dire de la femme, Henri Heine se tient moins sur ses gardes ; la mer interposée le rassure ; l’idéal chaste et noble se réforme ; l’ange pur succède au monstre gracieux, et, en se penchant sur la mer, le poète aperçoit au fond de l’abime et dans la transparence des eaux la ville engloutie et vivante où s’accoude à la fenêtre la belle jeune fille qu’il aimerait sans crainte et sans jalousie.

Nous regrettons de ne pouvoir citer l’ensemble de ce poème étrange ; où se déroulent tant d’impressions poétiques, rêveries, amours, souffrances, fantaisie, enthousiasme, ivresse. C’est l’analyse entière de l’ame du poète, avec ses contrastes les plus variés. Dans cette courte traversée de Hambourg à Héligoland, puis de cette île à Brème probablement, sur quelque mauvais paquebot chargé de grossiers matelots et de passagers ennuyeux, la pensée du rêveur s’isole et se fait grande comme l’infini. Quel est cet amour qui l’oppresse cependant, et qui, çà et là, traverse comme un éclair ces vagues idées, parfois imprégnées des brumes du Nord, parfois affectant une précision classique ? C’est dans un autre de ses poèmes, intitulé Intermezzo, qu’on trouverait peut-être le secret de ces aspirations, de ces souffrances. Là se découpe plus nettement la forme adorée, la beauté à la fois idéale et réelle qui fut pour Heine ce qu’est Laure pour Pétrarque, Béatrice pour Dante. Mais c’est assez d’avoir osé rendre quelques pages du Livre des Chants. La traduction n’est peut-être qu’un tableau menteur, qui ne peut fixer d’aussi vagues images, merveilleuses et fugitives comme les brumes colorées du soir.

Couronnement.

Chansons ! mes bonnes chansons ! debout, debout, et prenez vos armes ! Faites sonner les trompettes et élevez-moi sur le pavois cette jeune belle qui désormais doit régner sur mon cœur en souveraine.

Salut à toi, jeune reine !

Du soleil qui luit là-haut j’arracherai l’or rutilant et radieux, et j’en formerai un diadème pour ton front sacré. — Du satin azuré qui flotte à la voûte du ciel, et où scintillent les diamans de la nuit, je veux arracher un magnifique lambeau, et j’en ferai un manteau de parade pour les royales épaules. Je te donnerai une cour de pimpans sonnets, de fières terzines et de stances élégantes ; mon esprit te servira de coureur, ma fantaisie de bouffon, et mon humour sera ton héraut blasonné. Mais, moi-même, je me jetterai à tes pieds, reine, et, agenouillé sur un coussin de velours rouge, je te ferai hommage du reste de raison qu’a daigné me laisser l’auguste princesse qui t’a précédée dans mon cœur.

Le Crépuscule.

Sur le pâle rivage de la mer je m’assis rêveur et solitaire, le soleil déclinait et jetait des rayons ardens sur l’eau, et les blanches, larges vagues ; poussées par le reflux, s’avançaient écumeuses et mugissantes. C’était un fracas étrange, un chuchotement et un sifflement, des rires et des murmures, des