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de la création, à cela près que la terre n’est pas, par elle-même, une richesse dans la véritable acception du mot ; ce n’est qu’une vaste arène pour le travail de l’homme civilisé. Dans son état primitif, elle ne pouvait nourrir que quelques hommes sauvages avec les fruits et les racines des forêts. La valeur qu’elle a aujourd’hui, c’est le travail qui la lui a donnée. Que de siècles, que de capitaux, que de sueurs il a fallu enfouir dans son sein pour la faire ce que nous la voyons ! L’un de nos plus savans agronomes, M. de Dombasle, a proclamé une vérité qui, à elle seule, peut combattre l’odieuse et absurde assertion de quelques-uns de nos réformateurs, à savoir, que la propriété est un vol : « La terre, a-t-il dit à propos de la colonisation de l’Algérie, n’a d’autre valeur que celle qu’on lui donne par les capitaux, bras ou écus, qu’on lui applique avec intelligence. » Cela est reconnu de tous les agronomes quelque peu observateurs. Ils disent : « La terre n’est qu’une matrice, un moule ou un instrument de travail. Si l’on calculait tout ce qu’ont coûté les propriétés rurales pour les mettre en rapport, non pas depuis que l’homme cultive, mais seulement depuis deux siècles, on trouverait une somme fort supérieure à la valeur actuelle des propriétés. » On n’entend parler ici que des travaux extraordinaires, fondamentaux, tels que les défrichemens, les desséchemens de marais, l’extraction des rochers, les transports de terre et d’amendement minéraux, les plantations d’arbres et de vignes, les constructions rurales, et enfin les bestiaux et les instrumens aratoires. Il faut en excepter les cultures ordinaires annuelles, qui sont remboursées par les récoltes.

Je demanderai aux hommes qui ont l’incroyable audace de proclamer que la propriété est un vol, si le prix de la semaine ou du mois du simple ouvrier n’est pas quelque chose de sacré ? Ils me répondront certainement qu’il n’y a rien de plus sacré au monde. Eh bien ! le travail des mois, des années, des siècles, qui a constitué la propriété ce qu’elle est, n’est-il pas aussi respectable que le travail d’une semaine ou d’un mois ? Cessez donc vos blasphèmes contre la propriété ; au lieu de dire que le premier qui a clos un champ et l’a défriché était un fou ou un scélérat, bénissez-le, honorez-le, respectez son œuvre ; car, sans cela, l’espèce humaine aurait péri, ou, clairsemée sur le sol, elle serait plongée dans la plus profonde misère.

Je crois avoir déjà démontré qu’il n’y a pas de richesses préexistantes au travail, puisque la terre elle-même n’est devenue une richesse que sous la main active de l’homme. Il est également vrai que la richesse créée n’est rien, que ce qui se crée par le travail de tous les jours, de tous les ans, a seul une grande importance. Les principales richesses d’une nation sont :

1° Les produits de la terre, qui nourrissent l’homme et lui-fournissent les matières premières pour se vêtir ;