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à devancer les réflexions qu’ils suggéreront à chacun. Toute personne un peu au fait, non pas des mystères, mais des misères de Paris, peut affirmer hardiment que sur ces 103,500 individus il s’en trouve au moins 18,000, gens de sac et de corde, repris de justice de tous les degrés, depuis le voleur de la maison de Poissy jusqu’à la plus hideuse écume des bagnes de Brest et de Toulon. Ceux-là sont les dominateurs des travaux, les moniteurs de leurs camarades : ils entraînent les ouvriers honnêtes, sont en tête de toutes les émeutes qu’on décore du nom de manifestations, et s’imaginent être les grenadiers d’une armée d’occupation jetée au milieu de la capitale. Il est triste de dire qu’ils ont osé plus d’une fois recevoir, comme s’ils étaient à leur adresse, des témoignages de satisfaction partis de très haut.

La conclusion de ce rapide aperçu, c’est que les plaies dont les ateliers nationaux commencent à couvrir notre territoire ne peuvent être fermées que par des mesures de gouvernement dont tout le régime économique du pays ressente les effets. Quand une lésion locale du corps humain vient des vices ou de l’appauvrissement du sang, la médecine la combat par des remèdes généraux ; mais, en attendant ces remèdes, il est une mesure énergique, immédiate à prendre : c’est la dissolution ou tout au moins la dissémination des ateliers de Paris. La chose est peut-être moins difficile qu’il ne semble.

J’ai peine à croire, je l’avoue, à la réalité de l’effectif de 103,500 travailleurs. Quand le général Bonaparte prit le commandement de l’armée d’Italie, il constata que les revues sur lesquelles s’effectuait la solde comprenaient 16,000 hommes de plus que les rangs. De semblables dilapidations ont eu lieu dans d’autres temps et d’autres pays, et, sans affirmer que l’administration des ateliers nationaux ait quelques membres aussi peu scrupuleux qu’en comptait l’administration militaire du directoire, il est permis de regarder après elle ; elle est entourée de trop de subalternes qu’elle n’a pas choisis pour se croire à l’abri de toute tromperie, et, quand on considère comment s’est fait le recrutement des ateliers et ce qu’il a produit, un peu de défiance est légitime. Une multitude d’infortunés, dont beaucoup sont très respectables, ont été admis à la solde ; mais on sait que des brigadiers, lieutenans ou autres agens, ont été chargés de former eux-mêmes leurs brigades ou leurs compagnies. Ils ont enrégimenté leurs hommes, et leurs erreurs sur la moralité du personnel qu’ils sont allés chercher pourraient s’être étendues à la distribution de la solde ; bien des gens seraient capables de saisir de pareilles occasions de faire des économies, sous la réserve d’en employer le produit au triomphe de ce qu’ils appellent la bonne cause. Des indices nombreux feraient soupçonner qu’il couve dans le sein des ateliers des mystères dont ceux qui les dirigent avec loyauté n’ont pas la clé.