Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’a pas prévalu contre cette simple façon d’exposer les choses. Il n’y avait que M. de Rémusat et M. de Tocqueville dont la raison aussi élevée que judicieuse pût ajouter encore à l’évidence de cette démonstration, véritable modèle du genre socratique. Voilà l’influence qui appartient irrévocablement aux membres éminens de l’ancienne chambre, l’autorité qu’on ne saurait leur ravir, et dont ils se contentent. — Ils ne sont pas des républicains de la veille ; comme disait M. Thiers, « ils n’ont pas le droit de prétendre à cette hauteur d’origine ; » mais ils parlent sérieusement et loyalement, quand ils parlent, eux aussi, comme disait encore M. Thiers, « en leur qualité de républicains. » Ils ne souhaitent point de révolution nouvelle ; ils ne souhaitent qu’un établissement solide et durable après un demi-siècle d’essais malheureux. Il n’y a point de visées personnelles qui puissent l’emporter en eux sur ce sincère désir de leur conscience. Les députés nouveaux de couleurs modérées se sont fiés à bon droit au patriotisme de ces anciens de leur opinion, en les appelant à siéger aussi au club parlementaire de la rue de Poitiers. L’extrême gauche a fait semblant de s’effaroucher d’une réunion chaque jour plus imposante, en affectant de la tenir pour une intrigue. L’extrême gauche est restée seule dans son injustice. Ceux des républicains de la veille qui n’atteignaient pas au niveau de son radicalisme viennent de la délaisser, et se rassemblent désormais séparément à l’Institut. Le Palais-National demeure l’asile de la montagne, un asile solitaire et passablement vide. Le programme des républicains de l’Institut, tel que nous le connaissons, n’a rien en vérité que ne pussent signer des républicains du lendemain, si seulement il leur était permis de dater eux-mêmes de la veille. Nous n’avons pas d’objection contre ce travail intérieur de l’assemblée nationale, qui la forme ainsi petit à petit en groupes moins ennemis que divers : c’est une bonne préparation politique.

Les deux fractions importantes de l’assemblée appuient d’un commun accord le ministère du général Cavaignac. Si les anciens républicains éprouvent une tendresse plus prononcée pour telle ou telle nuance du cabinet, les gens sages, de quelque bord qu’ils soient, sans vouloir faire d’acception de personnes, tiennent sincèrement au maintien d’une administration qui s’est enfin placée tout entière au-dessus de tous les soupçons. Ils ne l’abandonneront point tant qu’elle ne les abandonnera pas, et, s’ils mettaient jamais de la mauvaise humeur ou de l’incertitude dans leurs rapports avec elle, il faudrait qu’elle l’eût beaucoup voulu. On peut encore, à l’heure qu’il est, en présence des alarmes sans cesse renaissantes qui menacent l’ordre matériel, on peut encore aider un gouvernement de soldats sans avoir à craindre de passer pour espartériste ; d’ailleurs nos officiers d’Afrique ont toujours su rester citoyens : ce ne seront jamais des ayacuchos.

La mésaventure de M. Carnot ne prouve rien contre ce sentiment général que nous voyons se manifester dans toutes les fractions du parlement en faveur du cabinet. M. Carnot s’est trompé quand il a cru qu’on poursuivait en lui le ministre sorti des barricades de février ; il se trompait davantage encore quand il se plaignait de l’opposition qu’il rencontrait comme d’une injure particulière qu’on voulait signifier à son adresse. Le caractère de M. Carnot n’était point en cause ; il est parfaitement vrai qu’il a toujours obtenu et toujours mérité la bienveillance de ses adversaires politiques. Son origine révolutionnaire n’était pas non plus un grief possible auprès d’hommes qui ont tous accepté la révolution.