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En attendant que l’assemblée nationale puisse aborder sérieusement les questions de finance, qui comptent parmi les plus difficiles et les plus pressantes qu’ait soulevées la révolution de février, deux documens importans pour l’histoire financière du pays ont commencé à éclairer l’opinion sur cette matière. Nous avons déjà dit quelques mots de l’un : c’est la défense de l’administration financière du gouvernement déchu par M. Lacave-Laplagne, l’autre est une vigoureuse attaque contre la gestion du gouvernement provisoire et de la commission exécutive par M. B. Delessert. Ces deux brochures se complètent l’une par l’autre, et constituent, en même temps qu’une apologie péremptoire du passé, un véritable acte d’accusation contre M. Garnier-Pagès et ses collègues.

M. Garnier-Pagès avait évalué le capital de la dette publique, au mois de février 1848, à plus de 5 milliards. Après quelques rectifications de détail, M. Lacave-Laplagne accepte le chiffre de 5 milliards en capital nominal, dette fondée et dette flottante tout compris ; mais il fait remarquer avec juste raison que ce qui importe, c’est moins le chiffre de la dette que son origine. Le gouvernement de juillet ne peut pas être responsable des dettes contractées avant son avènement. Au mois de juillet 1830, la dette était déjà de 4 milliards 380 millions ; elle s’est donc accrue en dix-sept ans et demi de 620 millions. 620 millions en dix-sept ans et demi, jamais gouvernement n’a coûté si peu. Sur les 5 milliards, la première république est pour 1100 millions, l’empire pour 800 millions, la restauration pour 2 milliards et demi. Il n’y a pas un seul de ces régimes qui n’ait coûté plus cher que le dernier, quoiqu’ils aient tous duré moins longtemps. Encore est-il à remarquer que les 1100 millions de la république ne représentent que ce qui a survécu à la grande banqueroute de l’an VI. En réalité, la république s’est endettée de 3 milliards en moins de douze ans ; mais elle a fait banqueroute des deux tiers. Cette façon expéditive de diminuer sa dette n’a jamais été à l’usage du gouvernement de juillet.

Quant à l’empire, s’il ne s’est endetté que de 800 millions en dix ans, ou de 80 millions par an, c’est qu’il avait d’autres moyens de se procurer des ressources en frappant des contributions extraordinaires sur les pays conquis ; mais, ces contributions, nous les avons rendues plus tard, c’est la restauration qui a été obligée de les payer, et l’empire a bien sa part de responsabilité dans les 2 milliards que nous a coûtés l’invasion.

N’importe, dira-t-on, c’est toujours beaucoup pour le gouvernement de juillet que d’avoir dépensé 36 millions par an en sus de ses recettes ordinaires, car il n’a point eu de guerre à soutenir, de frais d’invasion à payer, d’indemnité à donner aux émigrés. M. Lacave-Laplagne répond victorieusement à cette objection par le tableau des dépenses extraordinaires que ce gouvernement a eu à supporter ; l’Algérie à elle seule a coûté 1 milliard depuis 1830 ; les grands travaux publics, tels que chemins de fer, fortifications de Paris, etc., ont absorbé 1500 millions. Voilà 2 milliards et demi de dépenses extraordinaires ; pour ne s’endetter que de 600 millions, il a fallu prélever sur les recettes ordinaires près de 2 milliards ; en même temps, tous les services ordinaires qui peuvent être considérés comme productifs, soit de richesses, soit de puissance, soit de lumières, ont été dotés de crédits nouveaux et considérables. Les budgets de la guerre, de la marine, de l’agriculture, des travaux publics ordinaires, de instruction publique, ont été notablement accrus.