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le nom sans douleur et de les accepter comme la constitution définitive de l’Europe, car ils réveillent de pénibles souvenirs et contiennent des clauses qui blessent ses susceptibilités, ses sympathies et même son sens moral ; de l’autre, le sentiment de la force qu’elle avait recouvrée malgré eux, et qu’à lui seul le temps augmentait, lui avait fait renoncer à les déchirer violemment et à mettre de nouveau au hasard de la guerre sa prospérité croissante et le progrès naturel de son influence. Accepter, pour un temps dont la Providence se chargerait de marquer le terme, la situation sortie des traités de 1815, sans goût assurément, mais aussi sans dépit, et continuer tranquillement sa marche, en se jouant des entraves qu’on avait essayé de lui imposer, telle est la voie dans laquelle le nouveau gouvernement issu le 24 février de la dissolution de tous les pouvoirs publics a trouvé la politique française.

Il faut le reconnaître, il a eu sur ce point et dès le premier instant le bon sens de s’y conformer. On pouvait craindre, à cet égard, les souvenirs assez récens, les engagemens assez formels du parti dont il sortait. On se rappelait avec quelque inquiétude les déclamations de 1830 sur les nationalités opprimées, sur les frontières naturelles, — le soulèvement excité, même dans la dernière discussion de l’adresse, par cette déclaration d’un ministre que les traités de 1815 étaient acceptés par la France. Cette crainte n’a pas été réalisée. Le simple embarras du maniement des affaires, le sentiment si instructif et si puissant de la responsabilité personnelle, le changement d’idées qui s’opère chez tout homme en passant de l’opposition au pouvoir, l’instinct d’équilibre qui lui fait modérer sa marche à de telles hauteurs et sur le bord de tels précipices, toutes ces causes réunies ont opéré sur les vainqueurs de février avec une rapidité qu’on eût difficilement prévue. Quinze jours n’étaient pas écoulés depuis le changement de gouvernement, que nous étions rassurés contre toute idée d’une rupture violente des traités de 1815. Ces traités étaient maintenus dans un manifeste solennel, sinon comme droit, au moins comme fait à modifier d’un commun accord, et la division territoriale qu’ils ont consacrée en Europe, acceptée comme point de départ de nouveaux arrangemens à conclure.

Il y avait, sans doute, beaucoup à dire sur le texte même de cette déclaration. Les amateurs de droit des gens se montraient curieux de savoir en quoi un fait à modifier d’un commun accord diffère, dans ses conséquences pratiques, d’un traité valable en droit. Les gens de bonne foi, qui avaient pris au pied de la lettre tout ce que l’opposition avait dit pendant dix-huit ans, demeuraient un peu surpris que tant d’orages eussent été soulevés pour une simple différence de terminologie. À un point de vue plus sérieux, on pouvait dire avec raison (et nous croyons que la suite de ces réflexions ne le fera que trop voir) : Ou votre déclaration ne signifie rien, où elle sape par la base tout le fondement du