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mens de pierres comme échantillons des palais dont il se croit propriétaire, ne représente pas mal les savans fractionnaires, encyclopédiques et universels, dont on fabrique aujourd’hui la splendide et universelle ignorance. On ne voit pas que c’est pétrir de ses mains le mécontentement et l’émeute. Comme vous préparez tous les enfans à être des gens de lettres, il semble qu’il n’y ait rien de beau que de tenir une plume, un pinceau ou une lyre, et de calquer des amplifications ou des tableaux ; mais essayez donc de faire refluer vers les autres professions ces flots de demi-avocats et de quarts de rhéteurs qui nous encombrent et qui détruisent la société, faute d’y trouver place. Rendez leur juste considération à l’agriculture, au commerce, même à la politique et à la diplomatie, qui ne se présentent que comme des arènes d’ignorance et d’intrigue. La force de la belle École polytechnique est née de sa spécialité et de sa difficulté : maintenez-la ; copiez-la. L’université purement classique, une fois libre et dégagée de ses accessoires hétéroclites, deviendra plus solide et plus maîtresse d’elle-même. On saura beaucoup mieux le latin, en ne faisant plus semblant de savoir l’anglais et l’algèbre. Ici de grands humanistes, là de grands géomètres, plus loin de savans philologues ; certes, cela vaudra mieux que le néant et la prétention partout. Ne me dites pas que la démocratie est nécessairement superficielle et qu’elle commande, qu’elle exige la puérilité et la bassesse de l’esprit ; ce serait faux et injurieux. Ne dites pas non plus que l’œuvre est trop difficile ; il ne s’agit ni de réformer ni de détruire, mais d’organiser en classant, d’après l’harmonie de leur unité, de leur diversité et de leurs rapports, les élémens qui existent. N’avez-vous pas Alfort, l’École des eaux et forêts et l’École polytechnique, si magnifique dans son unité ? L’université proprement dite n’est-elle pas vivante et desservie par une foule de talens ardens et jeunes, trop obscurément sacrifiés ? Ne va-t-on pas créer une école d’agriculture ? Certes, voilà des élémens. Divisez le travail, et reliez les divisions par l’unité de l’idée.

— Je remarque, me dit Arnaud, que vous parlez toujours de synthèse et que vous établissez sans cesse des divisions.

— Dites que j’établis l’harmonie entre les diversités. Trois grandes sphères dont chacune attirerait dans son orbite les sphères secondaires qui lui sont affiliées et relatives, voilà ce plan si simple, si conforme à nos intérêts, si conforme aux lois divines : attraction, gravitation, équilibre.

— Et votre triple université serait gratuite ?

— Penser à la gratuité totale des écoles est absurde ; quelle pauvre démocratie que celle qui ne ferait que des mendians !

— L’état doit l’éducation à ses enfans.

~ L’état ne doit rien à personne. Au lieu de prendre l’état pour le débiteur universel, vieille et ridicule manie des esclaves ; — au lieu de s’habituer à traire cette éternelle vache à lait que l’on tue sans devenir