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Rien n’excitait plus leur colère ou leur mépris que ces classes, ces pouvoirs intermédiaires, qui, en s’associant à l’autorité suprême, en tempéraient et en corrigeaient l’action : les parlemens, la noblesse, le clergé. Ils rêvaient ce que la convention a réalisé, on sait par quels moyens, le pouvoir sans contrôle et sans frottement : le frottement en mécanique, n’est-ce pas une résistance ? Avec tout leur esprit, ils ne se doutaient pas des liens secrets qui rattachaient ensemble les diverses parties de la hiérarchie sociale ; ils ne comprenaient pas la solidarité redoutable de la royauté avec tout ce qu’ils voulaient renverser. On peut voir quelles railleries spirituelles ces rois par la grâce de Dieu gardaient pour ces nobles « qui s’étaient donné la peine de naître, » pour cette église de Rome qui empiétait sur les libertés de leurs sujets, ou pour ces parlementaires qui avaient acheté le droit de rendre la justice.

La longue attente du pouvoir suprême n’avait fait d’ailleurs qu’irriter l’impatience de Joseph II. Associé par sa mère à l’empire, il n’avait, par le fait, jamais pris part au pouvoir. Marie-Thérèse n’avait pas entendu abdiquer, elle n’avait voulu que partager l’empire, et Joseph ne le voulait que tout entier. La mère et le fils s’étaient séparés ; Marie-Thérèse avait continué son grand règne ; le comte de Falkenslein avait porté à travers l’Europe son impatience, sa curiosité, ses ennuis, et l’affectation d’une simplicité qu’admiraient ses partisans. Contradiction bizarre, mais qui n’est qu’apparente ! il voulait gouverner en despote, et être traité comme un particulier, parce que les respects rendus au rang suprême gênent aussi quelquefois. Louis XIV se gênait pour la royauté, Joseph la sacrifiait à lui-même. Au lieu de rechercher dans le caractère et dans l’histoire des Hongrois ce qui pouvait convenir à cette nation, il étudiait, en parcourant l’Europe, des systèmes nouveaux et des théories de gouvernement. Il revint, à la mort de Marie-Thérèse, avec un trésor de rancune et d’hostilité. Au lieu de profiter des suprêmes lumières et de cet horizon supérieur qui s’ouvre quand on est placé au sommet, il se hâta d’accomplir les réformes méditées dans l’exil et loin de tout contradicteur ; il reçut l’empire des mains de sa glorieuse mère comme un héritier avide qui, depuis long-temps, en se promenant dans les domaines qu’il convoite, s’est dit : J’abattrai cet arbre, ou je raserai cette maison. A peine sur le trône, il mit le marteau de démolisseur à l’édifice ; il s’attaqua à tous les intérêts en même temps. Il avait gagné dans ses voyages cette demi-science présomptueuse et téméraire qui trouve tout mal et qui veut tout détruire, parce qu’elle n’a point connu les raisons de ce qui existe et se croit les lumières nécessaires pour tout remplacer. Joseph II ne s’inquiétait pas de l’importance relative des questions, il devait suffire à tout, et, dans son amour pour l’unité, pour l’uniformité, il faisait tomber résolument les