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contre le chef de ses adversaires sans exposer son propre chef à subir le même sort. L’ostracisme exerçait son influence modératrice non seulement dans les occasions où il était employé, mais encore par la terreur salutaire qu’il devait inspirer à tous les hommes d’état. Il arrêtait l’ambition turbulente et ne privait pas le pays de candidats habiles et dévoués. Appliqué dix fois seulement dans un siècle, l’ostracisme, au prix du malheur de dix particuliers, préserva la démocratie naissante de toute violence. La mesure cessa d’être requise lorsqu’elle devint inutile, c’estrà-dire lorsque l’éducation politique de plusieurs générations eut fait passer dans les mœurs le mécanisme de la constitution et qu’elle n’eut plus à craindre aucune tentative pour le détruire. M. Grote compare avec beaucoup de justesse l’ostracisme aux lois d’exception portées dans nos gouvernemens modernes contre certains prétendans. Ce n’est pas leur personne que l’on frappe, c’est la guerre civile dont on préserve le pays ; dans une république encore mal affermie, ces prétendans, ou plutôt la guerre civile, voilà le danger de tous les instans. Ne faut-il pas une arme toujours prête à la repousser du pays ? Ce qu’il y a de plus admirable, à mon avis, c’est la sagesse du peuple athénien à ne pas abuser d’une loi qui mettait le sort de tous les grands citoyens à la merci d’une minorité. Chez nous, si l’ostracisme existait, la haine des supériorités, qu’on pare du nom d’amour de l’égalité, aurait bientôt chassé du pays tous les hommes d’état. Dans Athènes, il n’y eut d’injustice criante qu’à l’égard d’Aristide ; encore fut-il bientôt rappelé.

Tandis qu’Athènes est tourmentée par la fièvre du progrès, Sparte conserve immuables ses institutions bizarres, et, calme au dedans, commence à étendre son influence sur ses voisins. M. Grote a noté, mais sans les expliquer, sans doute parce que l’histoire ne lui fournit aucune solution de ce problème, les premiers symptômes de cette domination que Lacédémone ne tarda guère à exercer sur toute la Grèce. Dans un premier article, j’ai remarqué les avantages singuliers que Sparte tirait de sa position géographique. Protégée par la nature contre une invasion, elle pouvait rapidement porter ses forces contre ses voisins. Les lois de Lycurgue en avaient fait comme une grande caserne, et, dès le sixième siècle avant notre ère, les Lacédémoniens passaient pour invincibles. Leur réputation de moralité politique n’était pas moins bien établie alors que leur supériorité militaire. Quand les Athéniens disputaient à Mégare la possession de Salamine, d’un commun accord on choisit pour arbitres cinq Spartiates, et les Spartiates, quoique Doriens, prononcèrent en faveur des Ioniens contre une cité dorienne. Ce fut encore à Sparte que les Athéniens demandèrent du secours contre les Pisistratides, et, bien qu’elle a’y eût aucun intérêt, elle envoya aussitôt ses troupes, qui chassèrent les tyrans.