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étaient peut-être dans l’intention de l’artiste, et qui donnent plus de richesse à la soie.

Rarement le sévère pinceau de M. Ingres s’était joué avec autant de complaisance et de verve dans un fouillis plus séduisant d’étoffes chatoyantes et de bijoux aux mille couleurs, il a peint tout cela con amore, et pour se reposer, comme il dit, du nu auquel il est voué à Dampierre, où une de ses fresques, l’Age d’or, ne renferme pas moins de quatre-vingts figures nues, de grandeur naturelle, sur le fond uniforme d’un élysée toujours vert. Nous comprenons qu’il ait éprouvé le besoin de cette petite débauche de couleur. Quand vingt—cinq années auront passé sur toute cette magie, quand le temps aura fondu ces reflets opulens, adouci le brillant de ces épingles et de ces bracelets, vraies mosaïques de pierres précieuses, quand surtout il aura jelé son hâle doré sur ces magnifiques carnations, le portrait de Mme de Rothschild ne craindra la comparaison avec aucun de ceux que nous a laissés la fougueuse école de Venise, et il y aura plaisir à le placer à côté d’un Tintoret ou d’un Moioni.

M. Ingres possède depuis long-temps toutes les qualités qui font le grand portraitiste. S’il continue, comme il vient de le faire pour le portrait de Mme de Rothschild, à y joindre la séduction du coloris, ses portraits resteront certainement parmi les plus précieux monumens de notre époque. Le Tintoret avait inscrit sur les murs de son atelier : Le dessin de Michel-Ange et le coloris de Titien. Inférieur à son maître dans les grandes compositions, il le surpassa, au dire de beaucoup de gens, dans le portrait, genre qui réclamer la réunion de toutes les qualités et la perfection de l’exécution. Diderot disait avec beaucoup de justesse : « Le mépris du portrait annonce la décadence de l’art. Point de grands peintres qui n’aient su faire le portrait : témoin Raphaël, Rubens, Lesueur, Van Dyck. » Aussi ne faisait-on pas beaucoup de bons portraits de son temps, sauf Greuze et Latour, mais, en revanche, une foule de tableaux d’histoire et d’allégorie colossale, et beaucoup de petits sujets infâmes de l’école de Boucher. Et Pierre disait naïvement : « Savez-vuus pourquoi nous autres peintres d’histoire nous ne faisons pas le portrait ? c’est que c’est trop difficile. » L’école française depuis David, s’est relevée de cette intériorité, et, de nos jours, M. Ingres et ses principaux élèves contribuent à maintenir à la hauteur où l’ont placé les grands maîtres un genre qui, suivant l’expression de Diderot, « doit être particulièrement honoré chez un peuple républicain, où il convient d’attacher les regards des citoyens sur les défenseurs de leurs droits et de leurs libertés. »

L. G.