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fidèle à cette pensée d’expiation. Pour rendre l’enseignement plus grave, ce ne sont pas des héros imaginaires qu’il met en scène, ce sont des personnages réels, des chefs indiens dont le souvenir est encore vivant dans certaines contrées de l’Amérique. Le héros du livre est le chef des Creeks, Tokéah, noble et sublime vieillard en qui se personnifient admirablement les suprêmes efforts et les destinées lamentables des maîtres légitimes du sol. Tokéah a joué un rôle considérable chez les Indiens de la Géorgie de 1780 à 1812. On sait que le général Jackson extermina les Creeks en 1812 dans une guerre implacable qui commença sa gloire militaire ; Tokéah était l’un des adversaires du général Jackson. Muni de précieux documens sur le héros indien, M. Sealsfield avait songé d’abord à écrire son histoire ; il se décida cependant à peindre cette grande figure avec plus de liberté, mais on reconnaît toujours dans ses inventions une sorte de gravité historique. Le moment choisi par M. Sealsfield dans la biographie de son héros, c’est celui où le vieux Tokéah, fatigué de ses longues guerres et réfugié au fond des forêts, est obligé de quitter cette dernière retraite et d’abandonner pour toujours le sol de ses aïeux. Rien de plus gracieux d’abord, rien de plus grave et de plus solennel que cette peinture de la vieillesse de Tokéah. Une jeune fille blanche, prise dans sa première enfance par le chef indien, a été élevée par lui avec une sollicitude paternelle. Or, l’implacable haine de Tokéah pour la race des vainqueurs se dissipe à la vue de cette belle créature. L’auteur a voulu introduire, dès le commencement de son récit, un symbole d’union, il a voulu faire entrevoir la réconciliation possible des races ennemies. La véritable fille du chef, Canouda, a initié la fille des blancs à tous les usages de la tribu ; mais la Rose blanche (c’est le nom donné à l’orpheline) est dispensée des rudes travaux qui blesseraient ses délicates mains. Pour mieux reposer sa grande âme lassée de tant de haines, il semble que le vieux Tokéah ait besoin d’aimer cette jeune fille de race blanche et de se faire aimer d’elle, comme la mère est aimée de son enfant. La description de ce village, de ce campement d’une tribu indienne, est une peinture achevée ; les délibérations solennelles, le mélange de gravité et de puérilité, l’héroïsme des hommes, le dévouement des femmes, tous ces traits du caractère indien sont mis en relief avec un art très ingénieux et une dramatique animation. Le paysage est digne de ces beaux groupes si bien disposés ; ces paisibles événemens, ces scènes d’une gravité si douce se passent dans l’infinie solitude, non loin des bords de la mer, au sein d’une puissante nature dont M. Sealsfield connaît les grandes lignes et les splendides couleurs. Cette première partie du roman est un chef-d’œuvre de grâce, d’une grâce sauvage, si j’ose ainsi parler. Il est impossible de mieux faire comprendre la poésie du désert et la profonde, l’inconsolable tristesse des