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font la vie ? A côté de ce chef indien environné de tant de respects, il est curieux de voir le général républicain, le vainqueur de la Nouvelle-Orléans, condamné à 2,000 dollars le lendemain de sa victoire, pour une légère atteinte à la loi. Du reste, ne croyez pas que l’auteur obéisse à un parti pris ; ces vives oppositions sont involontaires, elles résultent de la nature même des choses, car ce qui frappe tout d’abord dans les écrits de M. Sealsfield, c’est la sérénité inaltérable, c’est la suprême impartialité de la pensée. M. le docteur Jung, qui le compare sur certains points à lord Byron et à George Sand, choisit bien mal ses rapprochemens. Il n’y a rien de hasardeux ou de follement passionné dans le talent de M. Sealsfield. C’est une intelligence calme et forte. Il voit les choses avec une lucidité merveilleuse, il en reçoit des impressions vives et saines, et de là cette vigueur sans effort, de là cette franche imagination qui découvre tout naturellement l’idéale poésie que contient la réalité. Rien de cherché, rien de mystique ; l’esprit de M. Sealsfield ne voyage pas dans le bleu, comme on dit en Allemagne ; la terre, pour qu’il la quitte, est trop belle, et le monde trop rempli d’enseignemens. Est-ce de la poésie ? est-ce de la réalité ? C’est l’un et l’autre à la fois ; c’est la réalité aux mains d’un artiste qui l’interprète sans la défigurer.

Cette peinture de la démocratie américaine, commencée dans son premier roman, M. Sealsfield va la continuer avec amour. Le Maître légitime et les Républicains ne forment qu’une page de cette histoire. L’auteur a d’autres problèmes, des problèmes plus graves encore, à étudier. Il est attiré surtout par l’antagonisme des races, et ces luttes sourdes ou éclatantes ont trouvé en lui un admirable metteur en scène. L’un des plus grands sujets qu’il puisse traiter, c’est assurément la lutte de la race anglo-américaine et de la race espagnole. L’envahissement du Mexique par les États-Unis, la marche incessante et presque fatale de l’activité américaine, c’est là un spectacle qui a dû frapper cette intelligence si pénétrante et lui inspirer d’énergiques inventions. Or, pour que le tableau fût plus vrai, M. Sealsfield a débuté par une étude spéciale sur le Mexique ; il a voulu connaître à fond tous les vices de l’esprit espagnol avant de le voir aux prises avec le fier génie des hommes du Nord, et il a écrit le Vice-roi.

Le Vice-roi et les Aristocrates sont une brillante étude sur le Mexique pendant les tumultueux conflits qui précédèrent la révolution de 1824. On sait que l’établissement de la république mexicaine fut préparé par de continuelles insurrections, et que de 1811 à 1824 des secousses sans nombre attestent le profond déchirement de ce vaste empire. La première de ces révoltes est celle que conduisait l’audacieux curé Hidalgo. Soulevées par les classes inférieures de la société, par les patriotes, comme on disait, les tribus indigènes tentèrent un hardi coup de main et furent massacrées à Guanajuato. Voilà le signal de ces longues