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d’une critique infatigable, il est facile d’en juger par cette collection d’Études, qu’on pourrait presque dire immense, mise au jour par ce brillant esprit, et où on peut le voir tantôt embrassant d’un regard l’horizon littéraire, ou suivant la mystérieuse filiation des idées, tantôt s’attachant à quelque destinée exceptionnelle et marquante, passant d’un pays à l’autre, de l’Angleterre à l’Italie, de l’Espagne à la France, de l’Allemagne à l’Amérique ; souvent spirituel et éloquent, quelquefois inégal, toujours au-dessus du lieu commun, et préférant quelque paradoxe hardi à la vulgarité. C’est une copieuse moisson recueillie dans sa maturité par un ouvrier laborieux. Il est d’ailleurs une remarque que m’inspirent, quant à la forme, ces publications successives, — remarque qui surprendra moins peut-être l’auteur lui-même que le lecteur. Ces études, venues à des jours différens, sous des impressions diverses, ces fragmens improvisés souvent dans le feu d’une verve fortement nourrie, n’eût-il pas mieux valu les réunir avec moins d’art, s’il se peut, les laisser dans leur désordre apparent, que de leur imprimer le sceau d’un ordre factice en les rangeant par catégories, et en donnant à chacune de ces catégories le caractère d’une œuvre spéciale sur un sujet déterminé ? Comme livres spéciaux en effet, les Études sur l’antiquité, ou sur le Moyen-âge, ou sur l’Espagne, de M. Chastes, sont des ouvrages incomplets, d’une composition incertaine. Une disposition plus libre, moins systématique de ces travaux, en eût mieux laissé voir, il me semble, le vrai mérite, — celui de représenter dans leur diffusion même, avec une fidélité saisissante, cette vie hasardeuse d’un critique que tous les objets peuvent attirer successivement, dont la pensée active se partage entre l’analyse d’une œuvre où palpite le sentiment moderne et une dissertation sur un fragment de Virgile, entre un essai sur un historien, un publiciste ou un orateur, et la plus délicate esquisse littéraire, entre le portrait de Burke et celui de Charles Lamb. N’eût-on pas mieux goûté alors tout ce qu’il y a d’intime saveur dans la variété ? Un homme qui aimait et pratiquait en maître l’art des diversions, Bayle, a merveilleusement défini cette sorte de livres ; il en a expliqué la formation et révélé l’attrait dans sa Lettre sur les comètes. « Vous remarquerez aisément dans cet ouvrage, dit-il, l’irrégularité qui se trouve dans une ville, parce qu’une ville se bâtit en divers temps et se répare tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre ; on voit souvent une petite maison à côté d’une grande, une neuve à côté d’une vieille. Voilà comment cet amas de pensées diverses a été formé…. » Et il ajoute ailleurs : « Combien y a-t-il de gens d’esprit qui s’ennuient à la lecture d’un ouvrage qui resserre leur imagination en la tenant toujours appliquée à un même sujet ! Qui n’aime pas la diversité ? Quel plus grand charme que les épisodes bien pratiqués ?… »

C’est au sein de cette irrégularité même, décrite par Bayle, et qui ne