Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leurs procédés, à un style poétique nouveau. Les circonstances sont passées, et l’œuvre est restée, de plus en plus saillante, de plus en plus digne de figurer parmi les livres d’une érudition délicate et variée. Le talent de M. Philarète Chastes se fait reconnaître à d’autres signes : dans son esquisse sur le XVIe siècle, les qualités de l’écrivain se décèlent déjà. La peinture qu’il fait de ce temps a plus de liberté et d’éclat que de mesure et de finesse. Il y apparaît surtout un rare instinct du mouvement de l’époque, un besoin de remuer et de combiner tous les élémens de l’histoire, d’étendre, d’élargir le tableau, en multipliant les aperçus, dût-il même en résulter une certaine confusion. L’imagination souvent, on le voit, a servi de guide au hardi critique dans ses recherches d’érudit. S’il est quelque étincelle de poésie sous la poussière morte des faits, il la dégagera et s’arrêtera à montrer l’indigente obscurité du Tasse, dans ce Paris où il passa, à côté de la popularité universelle et fragile du grand Ronsard. Il fera revivre et mettra en présence des écrivains tels que Michel Montaigne et de Thou, et, pour les mieux peindre, il les fera parler eux-mêmes. M. Chasles anime ainsi et colore l’histoire littéraire ; il la dramatise, par les contrastes imprévus qu’il découvre, en décrivant ce concours actif d’influences qui, par des causes diverses, pénètrent en France entre 1550 et 1610. C’est un véritable drame auquel rien ne manque, et le héros, c’est l’esprit français qui est en cause dans ces agitations puissantes. Dans un remaniement général de son essai primitif, l’auteur marque de plus en plus aujourd’hui ce point de vue, en ajoutant à l’intérêt de l’ensemble par des développemens nouveaux et surtout par une curieuse et piquante analyse des élémens et des changemens de la langue nationale.

Mais ici se pose une question qui se retrouve en réalité au fond de tous nos débats littéraires, et qui touche par plus d’un côté à la politique elle-même, à la lente et progressive transformation de nos destinées morales. Cet esprit français que M. Philarète Chasles prend pour héros dans ses dramatiques études, quel est-il ? Quelle est sa vraie nature ? Chacun le définit à son gré ; chacun en retrace une image suivant son goût. Pour les uns, l’esprit français est tout entier dans ces beaux exemples de règle, de noble harmonie, de simplicité sévère, qui se détachent avec puissance sur le fond lumineux du XVIIe siècle. Tout ce qui s’écarte de cette ligne droite et correcte leur semble une déviation périlleuse. Tout ce qui tend à introduire quelque nuance plus hardie, quelque saillie plus vive dans cette image qu’ils se sont faite leur paraît une altération, et, du haut de leur admiration pour ce type élevé, ils négligent volontiers tout ce qui ne porte pas la même empreinte de régularité calme et forte. L’humeur féconde, les grâces libres, les exquises licences de Montaigne, ils les jugent sévèrement, comme étant d’un mauvais exemple, et les éloignent à demi de