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des leurs, et ceux qui sont forcés de mettre l’esprit des antres au bout du leur. Impuissance du cerveau ou impuissance du bras, même défaut, quoique fort différent, mais qu’il faut corriger, comme le veulent saint Augustin et Jean-Jacques Rousseau, en mêlant les uns aux autres les exercices de l’esprit et les exercices du corps, le travail de l’intelligence et le travail des mains.

Mais le plus grand avantage du travail manuel. aux yeux des docteurs chrétiens, c’est qu’il règle et qu’il contient l’esprit de l’homme. Le travail de la pensée a quelque chose de vague et de capricieux. L’esprit qui médite n’est pas sûr de sa marche : tantôt il va bien et tantôt il va mal, tantôt il est appliqué et tantôt il est distrait. Le travail manuel n’a pas ces secousses et ces incertitudes ; il a quelque chose de fixe et de régulier qui influe sur l’esprit. Quelque petite que soit l’attention que le travail des mains demande à l’intelligence, cependant cette attention suffit pour tenir l’esprit et pour l’empêcher de rêver. C’est un grand bien. Je parle ici de la régularité intérieure et toute morale du travail manuel ; que dirai-je de sa régularité extérieure ? Aussitôt que le travail manuel entre dans la vie d’un homme, il la règle. Le désordre et la fantaisie ne sont plus de mise pour lui ; il a ses heures de repos et ses heures de peine. Son lever, ses repas, son coucher, tout est marqué et fixé nettement. Les métiers ne relèvent pas tous du travail manuel, mais ils ont tous quelque chose de mécanique ; c’est là ce qui en fait le mérite, parce que c’est là ce qui règle la vie de ceux qui les adoptent. Il faut à l’homme une occupation fixe et certaine ; il lui faut une règle en dehors de lui-même, qu’il ne puisse pas changer à sa guise. Le métier littéraire n’est si chanceux et si précaire que parce que le travail intellectuel ne comporte pas une régularité assidue. L’artiste et l’écrivain ne peuvent pas travailler avec la régularité de l’ouvrier, et c’est leur malheur. Leur genre de labeur a besoin d’inspiration, et j’allais presque dire de fantaisie. Il ne se fait pas bien à toutes les heures. Il suit l’allure du cerveau plutôt que celle des bras, c’est-à-dire une allure un peu vagabonde et un peu fantasque, même dans les esprits les mieux réglés.

Résumons les traits principaux de l’idée du travail tel que l’entend le christianisme.

Le travail est une loi imposée à l’homme déchu, mais cette loi porte avec elle sa consolation, puisque le travail est salutaire à l’homme. Le caractère essentiel du travail est d’être une œuvre morale et matérielle, de produire de grands effets dans le monde et de bons sentimens dans l’âme humaine. Tout travail qui n’est point une peine et toute peine qui n’est pas utile, utile au monde matériel qu’elle transforme et qu’elle améliore, utile au monde moral qu’elle corrige et qu’elle épure, ne répondent pas à l’idée chrétienne.