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au milieu d’un silence de mort, le verdict de guilty fut prononcé par le chef du jury, il y eut dans la salle du tribunal des scènes déchirantes. La malheureuse femme du prisonnier, qui était près de lui, se jeta dans ses bras en fondant en larmes, et ses amis se précipitèrent sur lui en lui pressant les mains. Le président fit évacuer la salle et emmener le prisonnier, et les jurés furent reconduits chez eux avec une escorte. Quand le verdict eut été connu dans la ville, la plupart des boutiques se fermèrent en signe de deuil, mais on ne bougea pas.

Ce ne fut que le lendemain que la sentence fut prononcée. Elle fut dure, elle fut cruelle. L’attitude de Mitchell fut superbe de courage et de défi ; après avoir entendu le jugement qui le condamnait à quatorze années de déportation, il se leva et dit : « Le gouvernement de l’Angleterre a accompli sa tâche ; j’ai aussi accompli la mienne. Je savais que je jouais ma vie, mais je savais aussi que de toute manière la victoire serait avec moi, car enfin je ne présume pas que ni le jury, ni les juges, ni personne ici s’imaginent que c’est un criminel qui est debout devant eux. » Ici éclatèrent des applaudissemens que la police chercha en vain à réprimer, et Mitchell reprit avec exaltation : « Le Romain qui voyait brûler sa main devant le tyran, jurait que trois cents autres le suivraient ; et moi, ne puis-je donc pas prendre cet engagement pour vingt, pour cent des miens ?» Le condamné, qui s’était tourné vers ses amis, fut interrompu par un tonnerre d’acclamations, et il fut, sur l’ordre du président, entraîné hors de la salle, au milieu d’un infernal tumulte ; mais ce fut tout : on ne bougea pas plus que la veille ; et tout ce peuple, qui devait, chaque matin, se lever comme un seul homme et manger tous les Anglais d’une bouchée, regarda misérablement enlever, embarquer et expédier pour les mers lointaines le plus éloquent et le plus fanatique de ses chefs. Les confédérés se réunirent dans leurs clubs, ils jurèrent de mourir jusqu’au dernier dans une meilleure occasion ; mais pas un bras ne se leva pour arrêter le vaisseau qui portait dans l’exil le malheureux Mitchell.

En même temps, les Irlandais semblaient prendre à tâche de donner de plus en plus à l’Angleterre le spectacle lamentable de leurs divisions. Déjà, quelque temps avant les procès, il y avait eu entre la vieille Irlande et la jeune Irlande des engagemens où la comédie le disputait à la barbarie. Les sectateurs de la force physique étaient allés faire une excursion à Limerick, pour y essayer de la prédication ; mais Limerick était une des forteresses du vieux parti d’O’Connell et des prêtres, et M. Mitchell avait eu l’agrément de voir sa propre effigie brûlée sur la place publique avec cette épitaphe : « Mitchell, le calomniateur d’O’Connell ! Mitchell, l’insulteur de la religion catholique ! » Les hommes de la jeune Irlande, s’étant réunis au nombre de quelques centaines dans un hôtel pour y dîner et y parler, se virent assiégés par leurs frères de