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présenta. Toutes les nuances libérales se rallièrent autour des chefs du cabinet qui venait de se retirer devant le vote du sénat. C’était l’alliance des catholiques et des libéraux d’avant 1830 renouvelée entre les libéraux et la petite phalange des radicaux. L’entente fut cordiale et sincère pendant tout le temps que dura la double attaque contre le parti catholique et contre les mixtes ; mais à peine des victoires partielles furent-elles le fruit de la bonne entente et des efforts communs, que, comme toujours, des symptômes de division intestine se manifestèrent.

Deux associations électorales avaient grandement coopéré à amener à la chambre des représentans distingués de l’opposition libérale : c’étaient celles de Liège et de Bruxelles. L’association de Liège fut la première qui triompha complètement ; Liège fut aussi la première ville où se manifesta une scission entre les deux nuances libérales. Bruxelles vint ensuite, et Bruxelles vit la division poindre à son tour. Ces déchiremens n’étaient point sans danger pour le libéralisme modéré. On allait rompre avant que la victoire fût complète. Que devait faire le parti libéral ? Rattacherait-il les radicaux à sa cause par des concessions de principes ? Se séparerait-il d’eux avec franchise et attendrait-il que l’opinion publique, mieux éclairée, prononçât entre les hommes d’expérience et quelques esprits chimériques, entre une majorité sage et une minorité violente ? C’est le dernier parti qu’il préféra, et il eut raison. Pourtant les causes de cette séparation ne furent pas d’abord bien comprises, et pendant quelque temps encore le pays resta hésitant. La société de Bruxelles avait, sous le nom de l’Alliance, rendu tant de services au libéralisme, qu’on ne voulait pas croire qu’elle pût imprimer au mouvement électoral une direction périlleuse. Par suite de cette méprise, ce furent encore les libéraux avancés qui triomphèrent dans quelques élections communales. On ne pouvait néanmoins en conclure que le parti radical eût jeté de profondes racines dans le pays, et la suite des événemens prouva assez quelle était l’opinion dominante en Belgique.

Une autre cause plus sérieuse de préoccupations pour le cabinet libéral était, je le répète, l’héritage onéreux du parti catholique. Une première difficulté se présentait pour lui : composé d’hommes dont le désintéressement et la modération étaient universellement reconnus, il ne voulait point faillir à cette réputation en faisant de la réaction contre les personnes. Tous les hauts fonctionnaires qui n’étaient point ouvertement hostiles à la nouvelle administration et aux principes qu’elle apportait au pouvoir furent donc conservés, et beaucoup d’amis du cabinet donnèrent un noble exemple. Des hommes politiques qui avaient montré une grande capacité se retirèrent de la lice pour laisser la place à des talens plus jeunes. C’est ainsi que le cabinet s’est enrichi de deux hommes dont la valeur s’est montrée dès leur avènement au pouvoir : le général Chazal et M. Frère. Dès les premiers jours de la session, ces hommes s’étaient placés au premier rang dans les chambres, comme aux yeux du pays.

Cette première difficulté étant résolue, le ministère libéral pouvait avec confiance pratiquer son système. La grande question à l’ordre du jour était celle des Flandres. Cette question est assez mal connue hors de la Belgique pour que je m’y arrête quelques instans.