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impétueux Illyriens auront, depuis quinze ans, déployé tant d’éloquence et d’énergie pour constituer avec leur indépendance la véritable démocratie slave ; enfin les Magyars n’auront rien gagné à donner à l’Orient l’exemple du gouvernement constitutionnel, ni les Moldo-Valaques à les devancer en proclamant leur affranchissement. Ces peuples, qui pouvaient redevenir des nations, périront l’un par l’autre, et laisseront un jour la tranchée ouverte à un ennemi puissant, qui ne les eût point battus réunis, mais qui les renversera divisés. Tout l’avenir de l’Europe orientale sera ainsi changé. Ces germes naissans d’une civilisation nouvelle, qui promettaient de se développer rapidement au contact d’une politique généreuse, seront étouffés par le génie asiatique des Russes. Il y aura un nouveau déluge de barbares ; toutes les nations slaves, qui inclinent dès à présent du côté de la Russie plutôt que du côté de l’Allemagne, se verront agglomérées et fondues dans la Panslavie. Il ne sera plus question ni de Magyars ni de Roumains ; ils auront disparu les premiers dans le sein d’un empire de cent millions d’ames. Comme, à tout prendre, il n’y a de lumière et de libéralisme, chez ces peuples, que dans les hautes régions sociales, ils se façonneront promptement à la pensée moscovite, au génie du Cosaque. Loin d’être pour nous l’avant-garde de la liberté sur le Danube, qui sait s’ils ne seront pas alors nos adversaires au pied des Alpes et sur le Rhin ?

Et pourquoi ne dirions-nous pas, à cet égard, toute notre pensée ? Nous ne serions point surpris qu’avant peu de mois, la Russie, exploitant la haine actuelle de l’Allemagne pour la Pologne et les légitimes rancunes de la Pologne, eût formé une armée polonaise qui serait destinée à marcher contre la liberté. Parmi les agens de toute nationalité, de toute religion, de toute caste et de toute opinion que la Russie entretient en ce moment à Paris, il en est qui travaillent l’émigration polonaise dans cet esprit, avec maintes promesses de récompenses personnelles et de liberté nationale. On a vu déjà des Polonais qui admiraient et prônaient le panslavisme russe : ils n’ont point fait fortune ; mais, le jour où il y aura une armée polonaise au service de la Russie, la Pologne elle-même, entraînée et fascinée, sera l’ennemie de la France. Alors se posera, par la force des choses, la question formidable et prophétique : L’Europe sera-t-elle républicaine ou cosaque ? Et il faut bien le reconnaître, si haute opinion que l’on ait de la race germanique, entre les Cosaques et nous, l’Allemagne, même unitaire, ne sera pas une barrière suffisante.

Nous avons la conviction de ne rien exagérer en donnant ces proportions à la question slave. Cette question est vaste plus qu’aucune autre aujourd’hui en Europe, et elle sera féconde en biens ou en maux, car elle contient en germe une grande défaite ou un grand triomphe pour la Russie, un mouvement de progrès ou de recul pour les idées, la reconstitution de l’Europe sur un principe de nationalité qui assurerait la paix et l’équilibre politique, ou la glorification d’un principe de conquête qui bouleverserait l’équilibre européen et perpétuerait la guerre.

Or, la question est aujourd’hui posée sur les bords du Danube, et c’est dans les plaines de la Hongrie qu’elle promet de se résoudre. Aussi croyons-nous fermement à l’importance du rôle que les Magyars sont appelés à jouer dans ce grand drame où doit se décider le sort de plusieurs nations, et par cette raison nous les supplions d’interroger leur conscience et leurs forces, d’ouvrir les yeux sur leurs fautes et sur leur isolement, et enfin de faire appel à la prudence de