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la discorde et d’une autorité prêchant la révolte, — conviées, comme par enchantement, à s’entretenir tout haut de toutes ces passions secrètes que d’ordinaire les cœurs les plus corrompus se murmurent à peine tout bas à eux-mêmes, ces populations ont gardé leur bon sens dans ce vertige. Elles ont eu plus de pudeur et de retenue que les magistrat de hasard qui les haranguaient du haut de leurs chaires curules improvisées ; elles ont rougi, pour l’honneur du peuple, du langage qu’on tenait en son nom. Ce sera pour elles dans l’histoire un éternel honneur ; mais, ne nous y trompons pourtant pas, ce qui les a sauvées ce jour-là, c’est l’insolence même du défi qu’on leur a jeté. L’excès du péril a ouvert les yeux des plus aveugles, l’effronterie de l’entreprise a fait bouillir le sang des plus patiens. Il suffit d’avoir rencontré quelque part ces fameux bulletins de la république affichés sur la porte de la mairie d’une de nos paisibles communes, en face de ces champs fertiles ou à l’ombre de ces bois épais dont la richesse semble attester l’admirable accord des dons de la nature et du travail de l’homme, pour comprendre, par ce contraste seul, ce qu’a dû faire éprouver au moindre paysan dans sa cabane la lecture de ces blasphèmes officiels. Ce sont, à vrai dire, les circulaires et les commissaires de M. Ledru-Rollin qui nous ont valu des élections tolérables, comme c’est la bataille de juin qui nous a donné un peu de repos à l’abri de l’état de siège ; mais à quoi la constitution est-elle bonne, si nous devons vivre ainsi toujours d’action en réaction, et n’attendre jamais un peu de bien que de l’excès même du mal ? Nous n’aurons pas toujours, Dieu merci, pour réveiller l’inertie des électeurs, de pareils aiguillons à leur faire sentir. Dieu, dans sa miséricorde ou dans sa justice, ne permet que rarement le mélange de tant de crimes à tant de folies. Des temps un peu plus paisibles en apparence viendront où le danger, toujours menaçant, sera moins visible à tous les yeux, où le pouvoir, toujours au-dessous de sa tâche, sera moins impudemment provocateur, et ce jour-là nous verrons à découvert les funestes effets d’un mode d’élection fallacieux, qui semble avoir pris à tâche d’inspirer le dégoût des droits même dont il confère le titre. On s’en est déjà aperçu aux choix inattendus des dernières élections de Paris, et à ces noms effrayans qui se sont glissés sur les listes à la faveur d’un jour de détente et d’un peu de distraction dans le parti de l’ordre. Dans une ville qui compte plus de trois cent mille citoyens en possession des droits politiques, il a suffi d’un régiment de quelques milliers exacts au poste et bien embrigadés, pour assurer à des ennemis personnels du code civil et du code pénal l’inviolabilité parlementaire et les honneurs d’une discussion solennelle. Que penser d’un système électoral qui permet de pareilles surprises, et qui, au lieu de venir en aide à l’action pacifique du temps, est combiné de manière à rallumer l’agitation toutes les fois qu’elle