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ordinaire que la règle, nous verrons mettre un terme à cet éternel artifice des factions de se servir des garanties légales pour narguer la loi plus à leur aise. Avec une constitution qu’on craindra de briser en y touchant, tous les partis ne se donneront plus tour à tour l’étrange plaisir d’en forcer tous les ressorts pour en éprouver la solidité. Le danger pèsera sur tout le monde et ne permettra plus ni sommeil ni plaisanterie. Au fond, s’il y a quelque manière de nous tirer de ce précipice, cette forte école seule peut nous l’apprendre. Ce qui a manqué à la France depuis cinquante ans, ce ne sont assurément ni les bons principes de gouvernement, ni les spéculations élevées et saines sur les conditions des sociétés ; ce n’est pas davantage l’éloquence et l’habileté des hommes d’état. Depuis le droit divin, en passant par le droit du sabre, jusqu’à celui de la sanction populaire, nous avons essayé de tous les principes qui peuvent agir sur la conscience ou l’imagination des hommes. Depuis l’homme miraculeux du 18 brumaire jusqu’à tant d’hommes éminens qui ont entouré le berceau du gouvernement de juillet, la Providence, après nous avoir donné le génie, nous a prodigué le talent. À ces forteresses si savamment élevées, à ces bons capitaines, qu’a-t-il manqué ? Disons-le. Une armée qui sût rester sous les armes. Il nous a manqué ce qui fait les bonnes troupes : l’union, la patience et la persévérance. Par un juste jugement, lois et chefs, aujourd’hui tout a disparu ; il ne nous reste plus que nous-mêmes. Vainement demandons-nous encore, pour nous tirer d’embarras, des institutions et des hommes ; il ne nous en sera plus donné. A la profondeur où notre sol est remué, la force végétale qui produit les grands arbres est épuisée. Mais il nous est permis d’espérer encore dans la ressource de l’énergie personnelle des citoyens. Si cette épreuve ne suffisait pas pour former chez nous ces qualités viriles du caractère nécessaires à un peuple libre, il faudrait se voiler la tête pour ne pas voir sombrer dans l’abîme le vaisseau qui porte la liberté de la France et sa fortune.


ALBERT DE BROGLIE.