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servant de prétexte à débiter les sentences de l’auteur. Un poète de nos jours a dit de lui :

Rien d’humain ne battait sous son épaisse armure ;


ce vers chagrin s’appliquerait, avec bien plus de raison, à tous ces personnages de convention que le roman, le théâtre et même l’histoire nous présentent comme les portraits vivans des hommes célèbres.

Au Salon de 1808 brillaient plusieurs tableaux remarquables : la Bataille d’Austerlitz, par Gérard ; les Révoltés du Caire, de Guérin ; l’Atala, de Girodet, et surtout la Psyché de Prudhon et son tableau de la Justice poursuivant le Crime. Gros avait là des émules dignes de lui. L’empereur fut content de son peintre et le récompensa lui-même. Les tableaux représentant des scènes modernes et exposés en même temps n’offraient pas à beaucoup près la même supériorité, quoique plusieurs de ces ouvrages aient conservé une célébrité méritée. Gros était là sur son terrain et maître dans son domaine.

Nous ne parlerons point avec détail de quelques compositions secondaires qui suivirent et qui n’ajoutèrent rien à sa réputation, telles que la Prise de Madrid, l’Entrevue des deux empereurs, une esquisse capitale de la Bataille de Wagram, etc. Son tableau le plus important, jusqu’au moment où il entreprit de peindre la coupole du Panthéon, est sans contredit la Bataille des Pyramides. La toile de ce dernier ouvrage n’avait pas les dimensions gigantesques des batailles que nous avons particulièrement mentionnées, bien que les personnages en soient de grandeur naturelle. Par un caprice malencontreux, on a eu, quelque temps avant la mort de Gros, l’idée de lui demander de l’agrandir pour l’adapter à une place choisie. Le tableau a perdu à ce placage. C’était en quelque sorte un magnifique portrait historique ; la figure de Napoléon y tenait la plus grande place : l’addition qui y a été faite a faussé tout-à-fait l’intention primitive et détruit tout l’effet de la peinture. Le bas de la toile était rempli par les cadavres entassés d’Arabes et de nègres semblables à ces figures d’esclaves enchaînés ou de peuples vaincus dont l’idée appartient à l’antique. Gros, revoyant après plusieurs années ce tableau, qui était un de ceux qu’il aimait le plus, et contemplant avec orgueil la figure de Napoléon, s’écriait dans son langage énergique : Je lui ai fait un trophée d’hommes.

A voir les tableaux de Gros, quand on n’en sait pas le nombre, il est impossible de ne pas le prendre pour un artiste fécond. Sa facilité à exécuter et à imaginer indiquerait un génie qui déborde, une main qui, comme celle de Rubens, ne se reposait jamais, et semblait poussée par le besoin continuel d’animer la toile. Il n’en est rien pourtant : on compte facilement ses grands ouvrages. Quant à des petits tableaux, il en a fait fort peu ; ces esquisses même et ces croquis, ces confidens, ces