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a égalé. Livrez-vous maintenant à ce qui constitue vraiment le peintre d’histoire. Vous voilà sur la route, ne la quittez plus... »

Ces conseils s’adressaient à un homme de cinquante ans, qui en avait passé trente à s’illustrer dans un genre où personne, disait-il naïvement, ne l’avait égalé. Il semblait que ce fût une excellente raison pour l’engager à y persévérer ; mais, au compte de David, ce n’était pas vraiment être peintre d’histoire, et le pauvre Gros n’avait encore produit que des tableaux de circonstance. L’élève soumis dut s’évertuer de son mieux, et sa coupole montre déjà cette malheureuse tendance à rentrer dans cette vraie route et à ne la plus quitter : dans les derniers ouvrages du peintre, c’est la seule qui surnage ; mais il était mal à l’aise dans cette forme pédantesque et sous cette tournure académique. Gros était l’artiste inspiré par excellence, et il semble qu’à cette triste époque le souffle divin ait cessé de l’animer tout à coup ; sa main va toujours, mais le génie est absent. Comme beaucoup de ceux auxquels il a été donné de voyager dans le champ du sublime, il tombe tout-à-fait, s’il ne s’élève aux plus hautes régions ; quand il peint froidement, il est bien au-dessous de la froideur permise à tant d’artistes, et qui semble comme leur élément. On eût dit que les critiques malveillantes, indécentes même, que provoquaient ses derniers ouvrages, augmentaient encore son entêtement à s’engager de plus en plus dans une voie si contraire à son naturel. Il alla jusqu’à refuser les sujets de bataille qui lui étaient offerts, de peur d’être distrait de sa préoccupation favorite. On trouve ces mots dans une lettre par laquelle il répondait à la demande qui lui était faite de traiter le sujet de la bataille d’Iéna sur une toile de quinze pieds : « Je suis très reconnaissant, etc., etc. ;….. mais, ayant déjà fait tant de tableaux de ce genre, je ressens la nécessité de m’en reposer par des sujets plus analogues à l’étude de l’art. »

Çà et là on voit reparaître encore le vieil athlète. Certaines parties témoignent encore de quelque chaleur ; ce sont celles surtout où il se retrouve sur la pente de ses anciennes prédilections. Il n’a jamais pu peindre froidement un cheval. Dans le tableau d’Hercule et Diomède, qui fut son dernier effort et l’occasion de son désespoir, les chevaux, quoique sacrifiés, sont encore pleins de force. Dans les plafonds du musée égyptien, on leur trouve quelque chose du feu et de l’animation qu’il leur donnait autrefois ; mais les personnages allégoriques au milieu desquels il les fait agir ne sont plus que de froides statues. Cet homme, qui élève jusqu’aux nues la représentation du naturel, ne peut animer seulement d’un souffle de vie son cortège de dieux et de déesses. Il n’est pas plus heureux dans les tableaux de chevalet, où il cherche la grâce ; ses femmes sont dépourvues de cette dernière qualité. Même dans ses anciens ouvrages, il n’avait pas su les douer de ce charme qui attire dans les Corrège et dans les Raphaël. Son Saül