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l’apparition de ce livre, un autre Génie du Christianisme, élevé sur le nouveau plan dont j’indique à peine le tracé, aurait obtenu le même succès. En 1803, lorsqu’on n’accordait rien à l’ancienne religion, qu’elle était l’objet du dédain, que l’on ne savait pas le premier mot de la question, aurait-on été bien venu à parler de la liberté future descendant du Calvaire, quand on était encore meurtri des excès de la liberté et des passions ? Bonaparte eût-il souffert un pareil ouvrage ? Il était peut-être utile d’exciter les regrets, d’intéresser l’imagination à une cause si méconnue, d’attirer les regards sur l’objet méprisé, de le rendre aimable, avant de montrer comment il était sérieux, puissant et salutaire……. Maintenant, dans la supposition que mon nom laisse quelque trace, je le devrai au Génie du Christianisme : sans illusion sur la valeur intrinsèque de l’ouvrage, je lui reconnais une valeur accidentelle : il est venu juste à son moment. Par cette raison, il m’a fait prendre place à l’une de ces époques historiques qui, mêlant un individu aux choses, contraignent à se souvenir de lui. Si l’influence de mon travail ne se borne pas au changement que, depuis quarante années, il a produit parmi les générations vivantes ; s’il servait encore à ranimer chez les tard-venus une étincelle des vérités civilisatrices de la terre ; si le léger symptôme de vie que l’on croit apercevoir se soutenait dans les générations à venir, je m’en irais plein d’espérance dans la miséricorde divine. Chrétien réconcilié, ne m’oublie pas dans tes prières quand je serai parti ; mes fautes m’arrêteront peut-être à ces portes où ma charité avait crié pour toi : Ouvrez-vous, portes éternelles ! Elevamini, portœ œternales ! »

A la suite de ces graves dissertations reparaissent les tableaux de genre. Après avoir peint la vie des salons sous le consulat, M. de Chateaubriand peint la vie de château, au moment où les châteaux, dévastés par la tempête révolutionnaire, commencent à se repeupler. L’auteur du Génie du Christianisme se rencontre en voiture de louage avec Mmes de Vintimille et de Fezensac, allant soit au Marais, chez Mme de Labriche, «excellente femme, dont le bonheur n’a jamais pu se débarrasser, » soit à Champlâtreux, chez M. Molé, qui rajuste de son mieux le beau domaine de ses pères. Parmi les abeilles qui alors recomposent leur ruche figure Mme de Custines, la châtelaine de Fervaques, « héritière, dit M. de Chateaubriand, des longs cheveux de Marguerite de Provence, femme de saint Louis, dont elle avait du sang….. J’ai vu celle qui affronta l’échafaud d’un si grand courage, je l’ai vue plus blanche qu’une Parque, vêtue de noir, la taille amincie par la mort, la tête ornée de sa seule chevelure de soie, je l’ai vue me sourire de ses lèvres pâles et de ses belles dents, lorsqu’elle quittait Sécheron, près Genève, pour expirer à Bex, à l’entrée du Valais ; j’ai entendu son cercueil