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La solitude majestueuse dont il aimait à rehausser sa vieillesse fut le digne couronnement de sa vie. Ne voulant point que le monde le vît faiblir sous le poids des années, il se retirait du monde. Il n’était pas jusqu’au laconisme qu’il s’imposait avec ses amis qui ne fût voulu et n’eût sa cause dans la crainte de paraître inférieur à lui-même. Comme les gladiateurs de l’antiquité, il tenait à bien mourir. Aussi rien n’a manqué à la poésie de sa dernière heure. Cette heure dernière ne s’est point écoulée seulement, ainsi qu’on l’a dit, entre un prêtre et une sœur de charité. Tous les sentimens qui avaient rempli son existence étaient représentés autour de son lit de mort : la famille, par le fils de ce frère immolé en 93, dont le souvenir reparaît si souvent dans les Mémoires, par M. Louis de Chateaubriand ; l’amitié, dans ce qu’elle a de plus délicat, de plus dévoué, de plus constant, par Mme Récamier ; la religion, par M. l’abbé de Guerry ; la charité enfin, par la supérieure du couvent de Marie-Thérèse, fondé par lui et Mme de Chateaubriand. Rien n’a manqué non plus à la poésie de ces glorieuses funérailles. Le jour où on porta provisoirement les restes de M. de Chateaubriand dans l’église des Missions étrangères, nous nous attristions de ne pas voir le clergé de Paris tout entier réuni autour du cercueil de l’auteur du Génie du Christianisme, de celui qui le premier ramena la foule dans les temples déserts ; mais nous avions oublié que c’était sa chère Bretagne, à laquelle il a légué son tombeau, qui se réservait l’honneur de le recevoir avec une pompe digne de lui. Cette pompe a été admirable. Tout le monde a lu le beau récit qu’en a fait M. Ampère dans son rapport à l’Académie française, au nom de laquelle il avait adressé à l’illustre mort des adieux empreints d’une éloquence inspirée par le cœur. Cette mer qui se retire un instant pour livrer passage au cercueil du poète s’acheminant, escorté par une foule immense, vers son dernier asile, vers ce rocher de granit qui doit le garder à jamais ; ces longues files de prêtres en surplis serpentant sur la grève ; ces bannières et ces casques resplendissant au soleil ; le bruit du canon se mêlant au murmure des flots ; ces récifs, ces écueils, ces bateaux encombrés de spectateurs, et, enfin, cette tombe isolée creusée dans un roc qu’entoure et protège la vague, et du haut duquel on n’aperçoit plus que l’océan et le ciel, quelle cérémonie funèbre se présenta jamais sous un aspect plus grandiose et plus magnifique ? Et n’est-il pas vrai, comme le dit si bien M. Ampère, «que le génie du peintre incomparable y est empreint, que sa puissante imagination a inspiré la sublimité de ses funérailles, et qu’à lui seul peut-être, parmi les hommes, il a été donné d’ajouter après sa mort une page splendide au poème immortel de sa vie ? »


LOUIS DE LOMÉNIE.