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rester, disait-on, de cette société patriotique qu’une compagnie modèle de cent cinquante hommes. Ce fut à la fin cette fameuse « légion de la concorde» (Swornost) qui se jeta derrière les barricades de juin.

Telle était la situation morale de Prague, lorsque les députés partirent en grande pompe, pour aller porter à Vienne la pétition du 11 mars. Le comte Kolowrat les accueillit à merveille, et l’empereur avec toute gracieuseté. On n’était encore qu’à la fin de mars ; l’avènement de Kolowrat et de ses amis passait à Vienne en ce moment pour une victoire inespérée ; l’Autriche louvoyait avant d’entrer à pleines voiles dans les eaux du libéralisme, et l’on fit entendre aux députés de Bohême que l’empereur, devenu monarque constitutionnel, ne pouvait se prononcer à lui seul sur de certains articles mentionnés dans leur pétition. La réponse impériale fut en effet, sur la plupart des points, assez peu catégorique. Notifiée dans un ordre de cabinet daté du 23 mars, elle affectait les formes sèches et courtes de la vieille bureaucratie. Elle renvoyait en beaucoup d’endroits aux anciens établissemens du pays (Landesordnung), comme s’il s’était agi seulement ou de les exécuter dans leur intégrité primitive, ou de leur donner quelque extension nouvelle. Ainsi, l’affranchissement de la langue tchèche et la démolition des états féodaux, qui étaient censés représenter encore la Bohême, ces deux questions souveraines ne furent pas abordées de front. La Landesordnung, par exemple, restait toujours la base du système représentatif, que l’on prétendait uniquement modifier en autorisant les villes à nommer elles-mêmes des délégués. La réforme judiciaire, la réforme municipale, le rachat des corvées, l’organisation de la garde nationale, la liberté de l’enseignement, n’étaient point garantis par des engagemens plus positifs ou plus généreux. On s’en référait aux futurs états soit de la Bohême, soit de l’empire. La chancellerie aulique avait traité la pétition du 11 mars comme un cahier de doléances ; elle avait cru donner satisfaction par des échappatoires. »

On n’aurait point à Vienne agi de la sorte, si l’on se fût mieux figuré la vraie disposition des esprits en Bohême. Tout en se développant avec les meilleures intentions de paix et de fraternité, la vie publique circulait déjà partout si fortement, qu’il fallait partout lui faire place. Les magistrats municipaux nommés par le régime tombé se retiraient dans chaque ville devant l’opinion. A Prague, le comte Stadion, chef de la régence, burgrave de Bohême, renouvelait par l’élection toute l’administration de la ville. Il convoquait les bourgeois et les propriétaires pour leur faire nommer un comité de cent membres qui choisît dans son sein un bourguemestre et un conseil exécutif de douze personnes. Ce comité devait fonctionner jusqu’à ce qu’il y eût une constitution communale ; mais il s’établit une autre réunion de bourgeois démocrates qui, sans caractère officiel, finit par s’arroger le titre de