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développemens, et les maîtres n’y mettaient aucun obstacle. La philosophie et la religion étaient cette fois associées pour atteindre un but également désiré par elles. La politique seule restait à l’écart, car aucun parti ne pouvait s’attribuer exclusivement le principe de charité au nom duquel l’émancipation était réclamée.

En France, rien de pareil. C’est de 1839 seulement que datent quelques préoccupations sérieuses au sujet de cette question. Les chambres ont alors commencé à s’en occuper, mais sans entraînement et comme par respect humain. Elles sentaient qu’il y avait là pour elles un grand devoir à remplir ; elles désiraient s’en acquitter, mais en même temps elles redoutaient les sacrifices qu’une telle entreprise ne pouvait manquer d’imposer au pays. L’opinion publique, rarement sollicitée par la polémique des journaux, demeurait froide et à peu près indifférente. Quelques esprits d’élite seuls, se détournant des luttes politiques, travaillaient dans l’isolement et saisissaient toutes les occasions de répandre dans le public leurs sentimens généreux en faveur de l’abolition de l’esclavage ; mais ces dévouemens étaient individuels et restreints dans leurs effets. Leur influence ne s’étendait pas au-delà d’un cercle étroit, auquel par dérision on attachait l’épithète de négrophile. Nos colonies, averties par l’émancipation anglaise, observaient avec une sollicitude très vive les moindres symptômes de la volonté de la mère-patrie sur cette question. Elles avaient en France des organes dont tout le soin était de mettre en lumière les complications du problème qu’il s’agissait de résoudre. Leurs représentans, confians dans la tiédeur avec laquelle on le débattait, les entretenaient dans la pensée du statu quo, ou ne leur laissaient entrevoir qu’un mouvement lent de réformation. Néanmoins, à chaque pas qui se faisait vers le but, les colonies, inquiètes sur leur avenir, troublées dans la jouissance de leurs propriétés, combattaient avec ardeur des résolutions prises timidement et sans fermeté. Le gouvernement se ressentait de cette situation et n’avait pas une conduite arrêtée. Absorbé par les questions politiques, par les luttes des partis, n’éprouvant aucune pression ni de la part des chambres ni de la part de l’opinion publique, il marchait au jour le jour, n’usant que faiblement de son initiative, et se bornant pour ainsi dire au strict nécessaire, pour qu’on ne pût pas l’accuser de ne point vouloir l’émancipation. C’est dans cette indécision qu’on a vécu jusqu’en 1845. Alors on fut plus vivement pressé. La commission des affaires coloniales avait déposé son rapport ; on devait, par déférence pour un travail qui avait exigé de longues et consciencieuses études, adopter un plan. La loi pour l’amélioration du sort des esclaves fut présentée aux chambres, et le gouvernement proclama solennellement la ferme intention d’exécuter l’émancipation. Cette loi n’était autre chose que le régime intermédiaire exposé dans le rapport de M. le duc de Broglie,