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les plus circonspects reconnaissaient qu’il fallait la rapprocher, surtout si, comme on pouvait l’espérer, on réussissait dans les essais de travail volontaire et dans l’introduction d’une nouvelle population de cultivateurs.

Tel était l’état de la question, lorsque la révolution du 24 février est survenue.


I.

La république ne pouvait pas laisser subsister l’esclavage dans nos colonies. Nous reconnaissons que, dès son avènement, elle devait prendre les mesures les plus efficaces pour l’abolir. C’était son droit, nous dirons même son devoir. Nous admettons également qu’elle pouvait, pour résoudre la question, répudier le système lent et compliqué adopté par le gouvernement déchu ; mais était-il aussi légitime que cette grande œuvre fût accomplie par un pouvoir de circonstance, par un pouvoir qui n’avait de raison d’être que la nécessité ? L’émancipation des noirs, qui embrassait nos intérêts commerciaux, notre navigation, notre richesse coloniale, l’avenir d’une partie considérable de nos possessions d’outre-mer, en même temps que les intérêts les plus sacrés de l’humanité, n’était-elle donc pas une affaire assez importante pour être respectueusement tenue en réserve, jusqu’à ce qu’un pouvoir législatif régulièrement constitué pût s’en saisir ? Le gouvernement provisoire n’en a pas jugé ainsi. Voulant, dans sa turbulente activité, parodier le comité de salut public, il s’est précipité sur ce vaste champ ouvert à son usurpation. Il est curieux d’examiner ce qu’il en a fait.

M. Arago était ministre de la marine et des colonies. Son premier mouvement fut de laisser les choses telles qu’elles étaient, jusqu’à la réunion de l’assemblée nationale. Il en fit la déclaration aux délégués des colonies ; mais M. Schœlcher, arrivant du Sénégal, de retour d’un voyage d’exploration, réclama la question d’émancipation au même titre que M. Caussidière réclamait la préfecture de police, et M. Étienne Arago la direction générale des postes. C’était son lot, son domaine par droit de conquête ; il avait, pendant quinze ans, combattu sur ce terrain la monarchie constitutionnelle : on ne pouvait sans injustice le lui contester. M. Arago le reconnut. M. Schœlcher fut donc chargé du soin de régénérer nos colonies. Homme absolu et de convictions plus violentes qu’éclairées, cette question d’humanité devint bientôt dans ses mains une question révolutionnaire.

Le 4 mars, un décret est rendu, qui déclarait que nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves, et qui instituait une commission, sous la présidence de M. Schœlcher, pour préparer, dans le plus bref délai, l’acte d’émancipation immédiate dans toutes les colonies de la république. Tous les hommes éclairés, à la lecture de ce document,