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De détestables journaux s’étaient relevés avec l’influence désastreuse de leurs anciennes excitations. Suspendus par nécessité de salut public durant le feu de la guerre civile, ils avaient reçu la permission de rentrer dans la carrière, aussitôt que cette carrière s’était trouvée sous la garde d’une loi votée par l’assemblée nationale. Ou cette loi était en elle-même incomplète, ou les circonstances se sont assez aggravées pour la rendre insuffisante : dans tous les cas, il ne servait à rien que l’assemblée délibérât et votât, car voici que les suspensions recommencent et se multiplient si fort et s’étendent si loin, que le gouvernement ne paraît pas avoir à sa disposition d’autre moyen d’agir, à moins toutefois que ce ne soit la promptitude, la commodité de ce moyen-là qui le séduise au point de lui fermer les yeux sur les autres. Il faut remonter assez haut dans l’histoire de nos difficultés politiques pour rencontrer une situation analogue à celle que la presse supporte aujourd’hui, et l’on ne se figure pas fétonnement des étrangers à la lecture de nos journaux, tels que les rédige l’empire des circonstances dans le sixième mois de la république reconquise. Cet empire énergique a d’abord frappé ceux que personne ne devait être tenté de soutenir pour eux-mêmes ; puis, il en a successivement atteint ou menacé que l’honorable gravité de leur caractère semblait mettre à l’abri. On peut très bien ne pas s’amuser beaucoup des extraits classiques et des apophthegmes sacrés de la Gazette de France, mais il est pourtant malaisé de prendre pour des conspirateurs ces rêveurs entêtés de cours plénières et de champs de mai. Les feuilles les plus sérieuses, celles qui savent le mieux qu’on ne gagne rien aux bouleversemens, n’en ont pas moins été décrétées de suspicion et prévenues de se bien tenir : elles ne parlent plus. La presse entière rivalise avec le Moniteur, ou de laconisme, ou de prudence officielle : elle enregistre plutôt qu’elle ne discute.

Ce n’est point un état qui puisse durer, et le gouvernement lui-même a senti la nécessité de s’en expliquer avec le pays, auquel il retranchait si sommairement une de ses libertés vitales. Le général Cavaignac a très volontiers admis l’urgence au sujet de la proposition de M. Crespel de la Tousche. Le but de cette proposition est, comme on sait, de faire décider, par l’assemblée, si la suppression ou la suspension des journaux rentre de soi dans les prérogatives décernées au pouvoir exécutif par les décrets des 24 et 28 juin, si l’état de siège lui-même peut, en aucun cas, priver les citoyens de la garantie d’un jugement contradictoire et régulier. Le débat qui s’ouvrira d’ici à quelques jours, et pour lequel le gouvernement s’est déclaré tout prêt, aura du moins, en un sens ou dans l’autre, un résultat plus positif que la protestation des journalistes dont le président du conseil a su se débarrasser avec une bonne grâce passablement ironique. Étrange différence des occasions et des temps ! ce fut une protestation comme celle-là qui commença la révolution de juillet ; celle-là n’a presque pas eu de retentissement dans le public : elle vient après de cruelles épreuves, et le public est las d’émotions. On n’a jamais vu pareil besoin de repos et de silence à l’entrée d’une ère qui s’annonce pour une ère nouvelle. Il y a des gens effarouchés qui livreraient sans balancer la critique raisonnable, pourvu qu’on les délivrât en même temps du tumulte des critiques violentes. Il y a d’autre part, en face de tout problème à résoudre, et nous en avons pour l’instant assez qui nous pèsent, il y a des gens absolus qui ne croient pas à la bonté de la discussion, parce qu’ils sont persuadés de l’excellence des idées qui couvent dans leur