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qui n’est ni de la symphonie comme l’ont entendue les maîtres, ni du drame, ni de l’ode, mais un je ne sais quoi qui n’a plus de nom et qui n’aura pas d’avenir. S’il a suffi une première fois, pour assurer à M. Félicien David une popularité bruyante, d’une succession de mélodies agréables orchestrées avec goût et dont les plus remarquables étaient d’origine étrangère, il y a loin de là à une réputation solide, consacrée par des œuvres fortes qui révèlent à la fois la fécondité du poète et la science du compositeur. Nous n’entrerons pas dans tous les détails de la nouvelle symphonie de M. David. La pénurie des idées n’est égalée, dans cette composition prétentieuse, que par la faiblesse de la forme, et le moindre défaut de l’Éden est de provoquer une comparaison redoutable avec un chef-d’œuvre impérissable, la Création d’Haydn. Qu’il nous suffise de dire que cette fois le public s’est montré aussi sévère que la critique, et qu’il n’a pu s’empêcher de rire tout d’abord en lisant en tête du programme les paroles suivantes : «La symphonie d’ouverture est intitulée : Avant l’homme. Ce titre indique la pensée qui a dirigé le compositeur dans son œuvre. Les recherches de la science géologique nous ont appris toutes les révolutions que notre globe a subies avant la création de l’homme, et le musicien a cru devoir donner cette sombre préface aux calmes peintures de l’Éden. » Le mystère en deux parties est digne de la préface.

Le théâtre de l’Opéra-Comique se défend mieux et avec plus de vigilance contre les difficultés du temps où nous vivons. Une succession de débuts, parmi lesquels on a dû remarquer ceux de Mme Beaucé-Ugalde, sont venus varier un peu la monotonie du répertoire courant. Mme Beaucé-Ugalde, qui s’était fait une brillante réputation dans le monde et surtout dans les concerts de M, le prince de la Moskowa, où nous avons eu l’occasion de l’entendre plusieurs fois chanter avec goût et intelligence quelques morceaux de Marcello et de Haendel, n’a pas rencontré auprès du public qui fréquente l’Opéra-Comique l’accueil sympathique auquel elle était habituée. Sa voix de mezzo-soprano, un peu sourde, tremblotante et d’une flexibilité laborieuse, n’a produit qu’un effet médiocre dans la musique vive et coquette du Domino noir. Signalons, en passant, un petit opéra en un acte de M. Grisar, Gille le Ravisseur, dont la musique svelte et de bonne humeur vaut infiniment mieux que les trois mortels actes qu’on vient de donner tout récemment sous le titre de Pascarello. La saison d’hiver sera remplie, assure-t-on, par un nouvel opéra de M. Halévy.

Notre histoire musicale, depuis l’avènement de la république, se réduit, on le voit, à bien peu de chose. Parlerons-nous du concours ouvert par l’ancien ministre de l’instruction publique, M. Carnot, pour la création de chants populaires ? Le fait saillant de cette lutte musicale a été la mise en évidence d’un jeune musicien qui était resté parfaitement inconnu jusqu’alors et qui ne sort d’aucune école, M. J. Creste. Pour être beaucoup plus restreinte qu’on se l’imagine, l’utilité de ces épreuves musicales n’est, il faut le reconnaître, pas moins réelle. N’eût-il servi qu’à mettre en lumière quelques vocations ignorées, le dernier concours n’aura pas été complètement stérile.


V. DE MARS.