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propriétaires se font une loi de résider sur leurs terres la plus grande partie de l’année. Des agronomes, des ingénieurs, attirés dans les campagnes par des avantages solides, étudient la composition du sol pour en corriger les défauts. Par leurs soins, on creuse des canaux qui facilitent le transport et le mélange des terres. Le cours des eaux est réglé soit pour le dessèchement, soit pour les irrigations. On construit aussi des conduits souterrains qui, pratiqués de manière à recevoir et à conserver les eaux, égouttent les sillons pendant les pluies d’hiver et diminuent l’évaporation trop rapide des étés. Les champs sont encadrés par de verdoyantes clôtures, et il en résulte une fraîcheur favorable à la végétation. En un mot, la superficie des bonnes terres, qui font exception dans tous les pays, semble s’élargir à vue d’œil. On honore, on encourage la profession d’agronome. Pour chaque domaine à affermer, il se présente dix hommes dont l’aptitude est éprouvée ; le seigneur se décide pour celui qui apporte le plus de capitaux, ou pour celui qui a le plus de crédit, car l’entrepreneur de culture, estimé à l’égal de tout autre industriel, peut obtenir la faveur d’un compte courant à la banque voisine. On sait qu’un demi-siècle n’est pas de trop pour fonder une bonne ferme : on prolonge donc le terme des baux, afin que les locataires ne reculent devant aucune amélioration. La clause suprême qu’on leur impose est de meubler richement la ferme en bétail, et ils n’ont garde de se soustraire à une obligation qui repose sur une vérité élémentaire et qui est la garantie de leur propre fortune.

Les résultats de ce mouvement se manifestèrent avec une promptitude qui leur donna un prestige magique. On a compté que, de 1719 à 1835, on a rendu 3996 lois de défrichement ou bills de clôture ; les neuf dixièmes de ce nombre appartiennent au ministère de Pitt. La petite et la moyenne culture se trouvèrent déroutées et comme honteuses de leur impuissante routine ; elles laissèrent le champ libre à la nouvelle industrie agricole. La concurrence pour l’achat des terres, engloutissant les humbles héritages, reforma une féodalité plus compacte que celle des anciens temps. Avec une population plus que doublée, le nombre des propriétés rurales est moindre qu’il y a deux siècles[1]. A la place des cultivateurs libres, race honnête et solide, on ne rencontra plus dans les champs que des prolétaires ruraux. Les moralistes déplorèrent ce résultat : en sa qualité d’archéologue et de romancier, Walter Scott fit entendre de poétiques regrets. L’économie politique, en Angleterre surtout, n’a que des chiffres à la place du cœur. Les hommes positifs se plaisent à constater que l’agriculture anglaise est

  1. Suivant M. Moreau de Jonnès, le nombre des propriétés territoriales dans l’Angleterre proprement dite est aujourd’hui de 32,000, en y comprenant environ 12,000 propriétés de main-morte, attribuées à des communautés civiles et religieuses. On compte moins de 8,000 propriétaires fonciers en Écosse.