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détiennent, avons-nous dit, 6 millions d’hectares, la huitième partie du sol cultivable. A part d’honorables exceptions, les grandes propriétés ne sont pas mises en valeur par ceux qui les possèdent. La gestion d’un vaste domaine exige, avec des connaissances spéciales, une surveillance très laborieuse. Pour faire le métier d’agriculteur, il faut une vocation rarement alliée au privilège de la richesse. Les propriétaires qui exploitent par eux-mêmes n’ont donc ordinairement que des fonds de médiocre étendue. Cette classe comprend beaucoup d’aubergistes, de maîtres de poste, d’éleveurs, de meuniers, de fabricans d’huile ou de sucre et autres industriels qui ont des moyens particuliers de crédit, et qui ne craignent pas de faire des avances au sol. Leurs professions leur procurent des ressources pour l’engrais : aussi a-t-on remarqué que les terres de cette catégorie sont celles dont la culture laisse le moins à désirer.

L’aristocratie anglaise a su créer une race de fermiers que l’opinion place fort honorablement entre la seigneurie et l’industrie bourgeoise. Également rompus à la pratique agricole et aux manœuvres du crédit, le capital ne leur fait pas plus défaut que la science : leur jouissance étant moins un bail aléatoire qu’une sorte d’usufruit héréditaire, ils se passionnent autant pour l’amélioration des fonds que le rentier féodal. Le gentleman farmer est un type qui serait dépaysé en France. L’existence de nos fermiers n’est ni assez large ni assez bien assise pour exciter une vive émulation parmi les jeunes gens d’un mérite distingué. L’instabilité de la propriété n’admet que des relations cauteleuses entre les détenteurs du sol et ceux qui le font valoir, et il en résulte une divergence d’intérêts qui fait perdre aux uns en moralité et en considération, autant que les autres perdent en argent.

Les baux à rentes fixes, procédant par périodes de trois années, datent, dans leurs formules et leurs tendances, de cette époque où l’assolement triennal était généralement pratiqué. Le plus souvent, des propriétaires sans prévoyance agricole laissent procuration entre les mains des notaires campagnards : ceux-ci se font un mérite de conserver dans la rédaction des baux ces clauses traditionnelles qui, conçues à une époque où l’immobilité semblait une vertu, ont pour effet d’entraver toute amélioration. La moindre innovation dans l’ordre des cultures y est formellement interdite comme attentatoire aux droits réservés du propriétaire. Les baux sont d’ailleurs trop courts : il est rare qu’ils dépassent le terme de neuf années. Or, comme il est démontré qu’une période de huit ans au moins est nécessaire pour assujétir un grand corps de ferme à un bon assolement, et que les améliorations ne sont bien profitables qu’après la seconde rotation, il est clair que le fermier ne se lancera pas dans des avances à long terme. Le propriétaire, qui n’est souvent qu’un citadin engagé dans des