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On doit sentir, au premier coup d’œil, qu’il y a là pour le trésor deux sortes de dettes entièrement distinctes et qu’on ne saurait classer dans la même catégorie. Cependant M. Garnier-Pagès n’entend point qu’il en soit ainsi : pour lui, ce sont des dettes de même nature ; il n’admet pas la moindre différence. Le trésor n’a-t-il pas reçu les 355 millions ? Donc il les doit, donc ils font, en totalité, partie de la dette flottante. Voilà son raisonnement. Mais sur ces 355 millions le trésor en a restitué 290 : peu lui importe ; mais des rentes ont été achetées, ces rentes sont là, comptez-les donc pour quelque chose : il ne les compte pour rien. Que signifient ces rentes ? ne peuvent-elles pas se déprécier ? Assurément, nous le savons trop, elles peuvent se déprécier, mais vous ne supposez pas qu’elles puissent tomber à zéro. Tombassent-elles même plus bas qu’il y a six mois, dans nos plus mauvais jours, elles vaudraient bien encore quelque chose. Donc, en mettant tout au pis, jamais l’état ne saurait être exposé à rembourser de ses deniers la totalité de ces sommes ; il ne serait tenu qu’à suppléer à l’insuffisance de la valeur des rentes, et à parfaire la différence entre leur prix de vente et leur prix d’achat.

Tout cela est élémentaire ; pourtant rien de tout cela ne touche M. Garnier-Pagès. Il n’en persiste pas moins à inscrire dans la dette flottante les 355 millions. Non-seulement les rentes acquises avec les fonds des caisses d’épargne sont pour lui comme non avenues, mais il déplore qu’elles aient été acquises. Il oublie que c’est de l’aveu à peu près unanime des financiers de tous les partis que ce mode de placement a été adopté, que c’était aux yeux de tous une sûreté pour le trésor et une garantie de plus pour les déposans. Il ne s’en écrie pas moins : « Quant aux caisses d’épargne, tout le monde en connaît la déplorable histoire. Sur les 355 millions versés entre les mains de la précédente administration (pour être exact, il fallait dire versés depuis trente ans entre les mains de toutes les administrations), je n’ai trouvé en compte courant au trésor qu’une soixantaine de millions. Le reste était immobilisé en rentes ou en actions. d’où il suit que le gouvernement déchu s’était mis dans l’impossibilité absolue d’opérer les remboursemens qui auraient pu lui être demandés. » Et plus loin : « Le gouvernement de l’ex-roi ne pouvait tenir ses engagemens envers les caisses d’épargne. Le gage, incessamment exigible, n’était plus libre dans ses mains. »

Que d’hérésies dans ce peu de mots ! Ce n’est pas le moment de les relever toutes, qu’on nous permette deux observations seulement.

M. Garnier-Pagès regrette de n’avoir trouvé qu’une soixantaine de millions en compte courant au trésor ; il s’indigne de ce que le reste eût été immobilisé en rentes. Aurait-il donc mieux aimé trouver les 355 millions en compte courant ? Bel avantage, en vérité ! S’imagine-t-il par hasard que cette manière de trouver des millions ait jamais