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que vous trouviez si sûres, il y en a qui m’ont fait défaut. » En vérité, je le crois bien. Le prodige eût été qu’il en fût autrement. La compagnie du chemin de fer du nord n’a pas effectué ses paiemens, les prêteurs du 10 novembre ont abandonné leur emprunt, les porteurs de bons du trésor n’ont voulu renouveler à aucun prix. Qu’est-ce que tout cela prouve ? La question n’est pas de savoir ce que ces ressources sont devenues le lendemain du 24 février, il s’agit de constater ce qu’elles étaient la veille.

S’il entrait dans notre plan de nous occuper aussi du lendemain, nous ne serions pas en peine d’expliquer à M. Garnier-Pagès pourquoi et par la faute de qui ce qui était or pur est devenu plomb pour lui.

N’est-ce pas merveille, en effet, que la compagnie du nord ait trouvé ses actionnaires rebelles à porter leur argent au trésor, lorsque chaque matin M. Garnier-Pagès leur promettait les douceurs d’une spoliation, ou tout au moins d’un remboursement forcé ?

Est-il bien étonnant que les adjudicataires de l’emprunt, placés entre deux abîmes, aient préféré le moins profond ? Sans doute ils ont abandonné leur emprunt, mais ils ont payé cet abandon d’une amende de 25 millions que M. Garnier-Pagès a trouvée dans le trésor, et dont, par parenthèse, il ne nous parle point. Si, à la réouverture de la Bourse, le 15 mars, les rentiers, qui depuis vingt jours voyaient le nouveau gouvernement à l’œuvre, n’avaient pas salué sa politique par une baisse de 50 pour 100, dépréciation sans exemple depuis tant d’années, dépréciation impossible à prévoir, jamais l’emprunt n’aurait été abandonné, car il fallait que les prêteurs perdissent plus de 25 millions pour qu’ils eussent intérêt à ne pas tenir leurs engagemens, et, nous l’avons vu, loin de ne pas les tenir avant février, ils demandaient à les escompter.

Enfin, quant aux porteurs des bons du trésor, nous comprenons très bien qu’ils se soient montrés récalcitrans ; mais leur avait-on fait de bien vives instances ? Il serait permis d’en douter. Après avoir proclamé tout haut, le 9 mars, que le service des bons du trésor était assuré, M. Garnier-Pagès, dès le 16, se faisait autoriser à en suspendre le paiement. Ainsi, dans l’intervalle du 9 au 16, en six jours, tous les porteurs de bons avaient été interrogés ; on avait acquis la certitude qu’à aucun prix ils ne consentiraient à renouveler ! Nous voulons bien le croire, mais du moins s’était-on servi du seul argument qui eût quelque vertu ? Les bons échéans en mars avaient-ils tous été payés ? Ce n’était pas difficile, il y en avait pour 19 millions tout au plus, et le ministre disposait de la réserve que vous savez. On nous dit bien qu’on a éteint des bons, on ne dit pas combien on en a payé[1]. La caisse

  1. Ce qui semble prouver qu’il faut donner à ce mot éteint un sens équivoque, c’est le chiffre des bons qu’on annonce avoir ainsi amortis. Ce chiffre est 81 millions (rapport du 8 mai). Sans doute on aura remboursé quelques bons dans les premiers jours ; mais en rembourser pour 81 millions avant le 16 mars, c’eût été du luxe. L’échéance de mars n’était que de 18 ou 19 millions. Probablement on veut principalement parler de bons convertis en 5 pour 100 au pair ; mais, s’il en est ainsi, cette conversion n’a rien coûté à l’encaisse du trésor, et le refus de payer les créanciers des caisses d’épargne n’en devient que plus regrettable et plus impossible à justifier.