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Je vois bien la moquerie qui voltige autour de tes lèvres, je vois l’éclat insolent de tes yeux, je vois l’orgueil qui gonfle ton sein, et pourtant je dis : Tu es aussi misérable que moi-même.

Une invisible souffrance fait palpiter tes lèvres, une larme cachée ternit l’éclat de tes yeux, une plaie secrète ronge ton sein orgueilleux ; ma chère bien-aimée, nous devons être misérables tous les deux !

XIX.

Tu as donc entièrement oublié que bien long-temps j’ai possédé ton cœur, ton petit cœur, si doux, si faux et si mignon, que rien au monde ne peut être plus mignon et plus faux ?

Tu as donc oublié l’amour et le chagrin qui me serraient à la fois le cœur ?... Je ne sais pas si l’amour était plus grand que le chagrin, je sais qu’ils étaient suffisamment grands tous les deux.

XX.

Et si les fleurs, les bonnes petites, savaient combien mon cœur est-profondément blessé, elles pleureraient avec moi pour guérir ma souffrance.

Et si les rossignols savaient combien je suis triste et malade, ils feraient entendre un chant joyeux pour me distraire.

Et si, là-haut, les étoiles d’or savaient ma douleur, elles quitteraient le firmament et viendraient m’apporter des consolations.

Aucun d’entre tous, personne ne peut savoir ma peine ; elle seule la connaît, elle qui m’a déchiré le cœur !

XXI.

Pourquoi les roses sont-elles si pâles, dis-moi, ma bien-aimée, pourquoi ?

Pourquoi dans le vert gazon les violettes sont-elles si attristées ?

Pourquoi l’alouette chante-t-elle d’une voix si mélancolique dans l’air ? Pourquoi s’exhale-t-il du baume des jardins une odeur funéraire ?

Pourquoi le soleil éclaire-t-il les prairies d’une lueur si chagrine et si froide ? Pourquoi toute la terre est-elle grise et morne comme une tombe ?

Pourquoi suis-je moi-même si malade et si triste, ma chère bien-aimée, dis-le-moi ? Oh ! dis-moi, chère bien-aimée de mon cœur, pourquoi m’as-tu abandonné ?

XXII.

Ils ont beaucoup jasé sur mon compte et fait bien des plaintes ; mais ce qui réellement accablait mon âme, ils ne te l’ont pas dit.

Ils ont pris de grands airs et secoué gravement la tête ; ils m’ont appelé le diable, et tu as tout cru.

Cependant, le pire de tout, ils ne l’ont pas su ; ce qu’il y avait de pire et de plus stupide, je le tenais bien caché dans mon cœur.

XXIII.

Le tilleul fleurissait, le rossignol chantait, le soleil souriait d’un air gracieux ; tu m’embrassais alors, et ton bras était enlacé autour de moi ; alors tu me pressais sur ta poitrine agitée.