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par les mélodies plaintives que redisent depuis des siècles les pâtres de la Sicile, le cœur rempli de celle mélancolie sereine que vous inspirent, dans les pays aimés du soleil, les grandes ombres du soir et l’horizon infini de la mer, mélancolie dont on trouve déjà l’expression dans Théocrite, dans quelques madrigaux de Gesualdo au XVIe siècle, mais surtout dans Pergolese et dans Paisiello, Bellini mêle ces accens natifs de son génie méridional à la rêverie, aux aspirations brumeuses et panthéistiques de la littérature allemande et anglaise, et il en forme un tout exquis, plein de charme et de mystère.

M. J. Verdi, le dernier venu des compositeurs italiens, et dont les opéras font aujourd’hui les délices de ses compatriotes, est un talent d’un genre tout opposé à celui de Bellini. Né dans les environs de Milan, on assure qu’il a appris les élémens de la musique d’un vieil oncle, curé de village, qui de très bonne heure l’exerça à chercher des accords sur l’orgue de la petite église de l’endroit ; le bon Dieu et l’expérience ont fait le reste. Le premier ouvrage qui l’a fait connaître est Nabuchodonosor, qui fut représenté à Milan avec un très grand succès. Il a écrit depuis une douzaine de partitions qui ont été accueillies avec enthousiasme dans toutes les villes d’Italie, excepté à Naples. Dans le pays de Rossini, on ne chante plus que la musique de M. Verdi ; ses mélodies stridentes retentissent sur toutes les places publiques. L’auteur de Nabuchodonosor, d’Hernani, des Deux Foscari, des Lombardi, dont la partition, arrangée pour la scène de l’Opéra sous le titre de Jérusalem, n’y a obtenu, l’hiver dernier, qu’un succès médiocre, unit un esprit sérieux à une imagination plus élevée que féconde. Ses idées ne sont dépourvues ni d’éclat ni même de puissance, mais elles tournent dans un cercle assez restreint, et comme il ne sait pas en varier l’aspect par l’art des dévellopemens, il arrive vite à la formule, qui est le signe de l’indigence. M. Verdi recherche volontiers les effets dramatiques ; on voit qu’il s’en préoccupe souvent, et, s’il parvient quelquefois à les réaliser, ce n’est que par une explosion subite d’une sonorité grossière qui lui échappe des mains, et non par la succession progressive des nuances, à la manière des maîtres. Il abuse souvent de l’unisson ; or, l’unisson, étant de sa nature un procédé facile et monotone, demande à être employé avec beaucoup de ménagement, et seulement alors qu’on veut reposer l’oreille fatiguée d’une harmonie abondante. C’est ainsi qu’un maître d’hôtel habile fait apparaître au milieu d’un splendide banquet quelques mets rustiques pour rafraîchir le palais échauffé des convives. L’orchestre de M. Verdi est à la fois bruyant et vide, ou trop sonore ou trop pauvre. Il affecte d’accompagner la voix humaine par les instrumens les plus vulgaires, tels que le cornet à piston, par exemple, dont l’éclat excessif, joint aux rhythmes bondissans qu’affectionne le compositeur, est plus digne du bal masqué que d’un drame sérieux. Ses opéras, mai écrits pour les voix, qu’il