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les parlemens disciplinables du régime monarchique. Le fait est que, tout en montrant beaucoup de déférence vis-à-vis de l’assemblée, L’honorable général use à propos du crédit qu’il a sur elle.

Nous sommes très contens qu’il se soit ainsi formé une majorité compacte autour du gouvernement, et, tout en souffrant d’une décision qu’elle a cru nécessaire, nous aimons mieux encore la voir agir avec cet ensemble, même en se trompant, que de ne la point voir du tout. Seulement il faut convenir qu’indépendamment des circonstances critiques qui peuvent fasciner les meilleurs esprits, il y a bien un peu d’empressement à voter si vite et si ferme, sur l’impulsion plus ou moins caractérisée du ministère. Nous naissons ministériels en France : il va sans dire qu’il n’y a pas grand mal à cela sous la république. Si petit que soit le mal, nous voudrions cependant l’épargner à la fortune du général Cavaignac. Nous aussi, comme beaucoup, nous avons du penchant pour ce soldat heureux. Le duc d’Orléans, de regrettable mémoire, ne se cachait pas de dire, tout en protégeant avec loyauté la carrière militaire du frère de Godefroy, « qu’il élevait peut-être un général pour la république. » Jusqu’ici le général Cavaignac n’est pas au-dessous de ce remarquable augure. Il a du sang-froid et de la tenue ; il parle peu, jamais trop ; il ne rit guère et ne se familiarise pas. Il est toujours de bonne foi dans ce qu’il dit, selon la limite de ses idées, selon les habitudes de son jugement ; ce qu’il dit, il le débite d’une voix de commandement quelquefois sourde et embarrassée, mais toujours convaincue, et pour laquelle on a volontiers du respect. Nous prédisons au général Cavaignac des panégyriques autrement pompeux que celui-là ; en attendant, et comme dernière marque de nos bons vouloirs, nous lui souhaitons de se garer à temps de l’entraînement des amis aveugles et de la complaisance des entourages dociles. M. de Lamartine a chèrement acheté le droit de savoir qu’il ne faut pas mettre la popularité à des épreuves trop hardies. La plus difficile épreuve pour un gouvernement populaire, ce n’est pas tant encore de gagner à l’allégement du pouvoir, c’est de ne rien perdre à supprimer la liberté.

Telle est la situation au milieu de laquelle l’assemblée nationale a ouvert le grand débat du projet de constitution. L’histoire de ce projet est chose connue. Confié à une commission spéciale où toutes les lumières et toutes les opinions étaient représentées, discuté dans les bureaux, revu en commun par les délégués des bureaux et par la commission obligée d’écouter leurs avis, modifié au passage par l’influence des événemens de juin, le projet arrive enfin à la discussion publique après ces laborieux préliminaires. Chose singulière et bonne à noter, non pas pour son importance, mais pour éclairer un peu l’humeur de ce temps-ci, le jour même ou la veille du jour où il se produit, on voit paraître à côté un persiflage assez fastueusement monotone, qui s’intitule Petit Pamphlet sur le projet de constitution, et l’auteur du pamphlet est le président de la commission qui a construit cette future charte du peuple. Soyez donc des législateurs éternels ; essayez d’avoir au front les rayons ardens de Moïse, essayez seulement d’imiter la gravité philosophique des sages de la constituante ! Quel bon sens ne supposez-vous pas à la foule, si vous espérez, comme nous voulons aussi l’espérer, qu’elle prendra plus au sérieux que vous l’œuvre dont vous vous moquez à mesure que vous la faites. La moquerie de Timon n’est pas d’ailleurs plus amusante qu’elle n’est convenable : la forme en est ce que nous savons de-