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CHAMFORT.




S’habituer à vivre, c’est s’habituer aux injures du temps et aux injustices des hommes.

CHAMFORT.

Tout homme qui, à quarante ans, n’est pas misanthrope, n’a jamais aimé les hommes.

CHAMFORT.


L’esprit, — je ne parle pas de celui qui court les rues, — est çà et là en littérature le trait de génie, la touche du maître, l’accent immortel dont le sculpteur ou le peintre frappe le marbre ou la toile. Rulhières disait, étonné qu’on le trouvât méchant : — Je n’ai fait qu’une méchanceté dans ma vie. — Quand finira-t-elle ? demanda Chamfort. Ce mot si profond et si inattendu survivra à toutes les œuvres de Chamfort, comme les contes de Voltaire ont survécu à ses tragédies, comme les petits tableaux tout flamands de Breughel à ses grandes toiles inspirées par les Italiens. Il y a des hommes d’esprit qui n’ont laissé qu’un mot pour tout héritage, c’est déjà beaucoup. La postérité est assez paresseuse de sa nature ; elle aime ceux qui arrivent à elle sans lourd bagage pour sa bibliothèque, qui ne se compose pas de mille volumes. Elle n’a ouvert sa porte à Chamfort qu’à la condition qu’il laissât ses livres sur le seuil. Fontenelle, qui, presque centenaire, ne passait pas un jour sans aller dans le monde, disait à ses voisins : — Je suis là, mais ne comptez pas sur ma présence d’esprit, la conversation est un livre que je ne comprends plus guère ; dites-moi de temps à autre le titre du chapitre. La postérité est comme le vieux Fontenelle : elle se contente de savoir le titre du chapitre.

Chamfort, né en Auvergne en 1741, mort à Paris en 1794, a traversé pour ainsi dire tout le XVIIIe siècle, ce XVIIIe siècle des abbés, des marquises, des reines du Parc-aux-Cerfs et de Trianon, des encyclopédistes et des révolutionnaires. Il a connu Voltaire et Mme Du Barry, Diderot et Marie-Antoinette,