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de la politique ont joué les uns envers les autres ; quand on se rappelle quels ont été, à des époques successives, leurs mutuelles défiances, leurs réciproques injustices, leurs communs emportemens et leurs torts, il semble qu’il y ait justice à ce que, pour sortir enfin de la déplorable situation qu’ils se sont créée à eux-mêmes, pour se sauver des périls qu’ils se sont volontairement attirés, ils soient contraints à s’imposer des concessions un peu pénibles.

Dans la vie des peuples comme dans celle des individus, n’y a-t-il point des châtimens réservés de longue date et fatalement attachés à de certaines erreurs de conduite ? Pour les peuples comme pour les individus, ne faudrait-il pas, pour obtenir merci, s’être un instant humiliés sous la main de Dieu, et, pour secouer le poids accablant des anciennes fautes, les avoir devant lui reconnues, confessées et expiées ? Le régime nouveau que les événemens nous ont fait rend plus faciles et plus dignes les ménagemens que les anciens partis se doivent aujourd’hui témoigner mutuellement. À défaut d’autres mérites, la forme républicaine a du moins l’avantage de blesser le moins possible les justes susceptibilités, de pouvoir rallier honorablement tous les dévouemens, de ne point froisser trop douloureusement les fibres délicates de la conscience politique, de ne point commander l’indifférence pour ce qui ne peut devenir indifférent, l’oubli pour ce qui ne saurait être oublié, et de concilier dans une juste mesure l’accomplissement des devoirs nouveaux avec le respect de soi-même et des anciennes affections. C’est en ce sens que, dans un moment aussi solennel et d’un si grand poids dans la balance de ses destinées, la France comprendra l’appel qui lui est adressé par les chefs de tous ces anciens partis, autrefois si misérablement divisés, aujourd’hui si heureusement réunis. Un éclair de joie la traversera sans doute en voyant de quelles armées et de quels chefs elle peut disposer encore. Elle se sentira reprise du sentiment de son antique fierté, en passant la revue des troupes dévouées, des capitaines habiles qui, aux jours des suprêmes dangers, sont prêts à faire face aux attaques désespérées de ses mortels ennemis. Tous ceux qui, d’un œil si avide, suivent au dehors les actes du drame terrible joué d’abord chez nous, si vite répété sur tant de théâtres en Europe, seront saisis eux-mêmes à leur tour de quelque étonnement et d’un peu de respect. Non, il n’est pas prêt à disparaître de la carte du globe, un pays prompt à se relever aussitôt qu’abattu, qui sait retrouver sa route au milieu de si épaisses ténèbres, où de si nobles impulsions sont si vite données et si vite obéies. Espérons que l’effort tenté n’épuisera pas la mesure de notre volonté, et que l’accord établi survivra long-temps aux circonstances qui l’ont commandé. À ces conditions, à ces conditions seules, il nous sera donné de jouir d’un peu de sécurité dans le présent et de prendre confiance dans l’avenir.

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