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REVUE. — CHRONIQUE.

claircissaient à chaque affaire, et qu’une loyauté naïve ramenait obstinément sous les drapeaux, jusqu’au jour où, le camp se trouvant devenu leur unique patrie, et de toutes leurs vertus, celles qui s’exercent sur les champs de bataille survivant seules chez eux à des épreuves Si prolongées, ces vétérans suivirent aux extrémités de la Méditerranée la fortune de la Grande-Bretagne, qui les associait à sa lutte, infatigable contre l’ascendant français. Les portraits remarquables et même piquans abondent dans cette seconde partie des Mémoires. On peut y recueillir bien des traités nécessaires pour compléter la sage et noble figure de l’archiduc Charles, ce général supérieur à ses victoires et grandi par ses revers. Le feld-maréchal-lieutenant Hotze, le Chevert de l’armée autrichienne, trouve dans M. de Rovéréa un biographe aussi exact qu’affectueux ; enfin tout le détail des relations personnelles de l’auteur des Mémoires avec Souwaroff abonde en anecdotes de l’intérêt le plus vif et le plus varié[1], qui aident à se rendre compte du caractère compliqué, mais toujours généreux, impétueux, mais rusé, de ce héros bizarre, dernier représentant des mœurs moscovites, et que Pierre-le-Grand aurait avoué pour son précepteur. Deux traits suffiront pour montrer quelle appréciation vraiment magnanime des circonstances du monde occidental, où le sort de la guerre l’avait conduit, s’était formée dans l’esprit de ce champion des frontières asiatiques. « Je le vis un jour, dit M. de Rovéréa, s’approcher humblement d’un émigré, chevalier de Saint-Louis, très âgé, qui semblait être dans l’indigence : Mon père, lui dit-il, votre bénédiction me serait d’un grand prix ; ne me la refusez pas. » On discutait à sa table sur la réaction monarchique qui s’opérait à Naples, ou, sous l’influence de la reine et de ses agens, le sang des révolutionnaires coulait sur les échafauds. Un officier-général napolitain louait cette sévérité comme étant d’un salutaire exemple. Soudain le maréchal, qui jusqu’alors avait gardé le silence, dit en élevant la voix plus que de coutume : « Votre roi a tort, il a grand tort ! C’est nous qui sommes condamnés à punir ; les rois sont faits pour pardonner ! »

Les Mémoires de M. de Rovéréa renferment des renseignemens très précieux sur la médiation de 1803 et sur la situation politique dont cet acte, si diversement jugé, devint la base pour la confédération helvétique. Beaucoup trop déprécié dans le temps où il se trouvait en vigueur, et plus tard exalté au-delà de toute mesure, l’arrangement imposé par la volonté inflexible et l’égoïsme clair voyant du grand capitaine des temps modernes constituait pour les cantons une dépendance fort dure dans le fond, souvent blessante dans la forme, et qui n’était rachetée par aucun gage de sécurité ; mais, à l’intérieur, il reposait sur des principes très sains de compensation, de contre-poids, et par conséquent de conciliation, terme le plus avantageux auquel on puisse arriver dans un pays où l’on est forcé de tenir compte des précédens les plus divers et des inclinations les plus opposées. La Suisse a certainement eu beaucoup à regretter la précipitation vindicative avec laquelle, en 1814 et 1845, le pacte basé sur la médiation a été déchiré et remplacé par un amalgame de restauration imparfaite et de dispositions incohérentes, dont l’explosion de la guerre civile, après trente années de tiraillemens et de fermentation, fut la conséquence naturelle et le dé-

  1. Tome II, chapitres X à XIII, pages 290 à 360.