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« Elle, ayant suspendu à une branche haute son arc et son carquois peint, avait délacé ses brodequins d’argent sur sa jambe agile ; elle avait délié sa ceinture et recevait sur son flanc grêle et ses seins nus la fraîcheur de la brise ; ses boucles dorées, tout à l’heure attachées en tresses luisantes pour ne point gêner sa course, retombaient maintenant sur ses épaules, dénouées et tout humides d’une ambroisie parfumée.

« Dès qu’elle vît Vénus derrière elle, comme réveillée en sursaut, elle rougit de sa nudité, fâchée contre ses compagnes négligentes, qui ne l’avaient point avertie et la laissaient surprendre dans ce désordre. Elle ramassa rapidement ses voiles épars, les ramena comme elle put sur son sein et se leva vers la déesse, tandis que toutes ses nymphes, l’entouraient comme une guirlande. »

Tout cela regorge, dans l’original, de ces vers de belle venue qui font nager dans la lumière une idée ou un contour ; tout cela est musical autant que pittoresque.

Marlowe, qui mourut si jeune, et que, je ne sais pourquoi, on appelle toujours le vieux Marlowe, — peut-être parce qu’il est aussi de quelques années l’aîné de Shakspeare, — Marlowe fut également possédé de cette ivresse païenne de la renaissance qui a ouvert à la poésie des intuitions si ardentes sur la nature. Un de ses contemporains, Drayton, poète lui-même, disait de lui en beaux vers : « Baigné dans les sources thespiennes, Marlowe avait cette braverie des choses trans-lunaires qu’eurent les anciens poètes ; ses transports étaient tout éther et tout feu ; de là vient la transparence de ses vers, car il conserva cette belle folie qui doit remplir la tête du poète. » Ce fougueux jeune homme, victime du philtre enivrant que la muse antique verse à ses hôtes, en décrivait lui-même les délices empoisonnées dans un de ses drames. C’est un favori qui veut entourer de séductions un roi efféminé.

« J’aurai, dit-il, de voluptueux poètes, des hommes d’esprit amusans, des musiciens qui, en touchant une corde, feront aller où je voudrai ce prince faible. Musique et poésie font ses délices ; c’est pourquoi j’aurai des mascarades italiennes la nuit : doux entretiens, comédies, charmans spectacles ; et le jour, lorsqu’il sortira, mes pages seront vêtus en nymphes sylvaines ; mes hommes, comme des satyres paissant sur l’herbe, danseront, avec leurs pieds de bouc, les rondes antiques. Parfois un joli enfant, sous la forme de Diane, dorant de sa chevelure le flot qui miroite, se baignera dans une fontaine ; un autre, près de là, épiant, comme Actéon, à travers le feuillage, sera métamorphosé par la déesse irritée. Changé en cerf, il fuit, traqué par une meute aboyante, et semble mourir. Telles sont les choses qui plaisent le mieux à sa majesté. »

Et ceci s’écrivait du temps d’Henri III. Le poète n’en poursuivait pas moins lui-même la perfide, l’épuisante syrène. Ce jeune homme, qui n’a pas vécu vingt-huit ans, a écrit un Faust, la Tragique histoire du docteur Faustus, peut-être la sienne. Aussi avec quels accens fiévreux et tendres il exprime les désirs qui brûlent l’ame de son héros ! Faust s’écrie en tendant les bras à la vision d’Hélène :