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gracieux caprices. Tantôt il ôte les couronnes de sa tête pour les poser au front de la belle dormeuse, tantôt il s’amuse à refaire les boucles de ses cheveux dénoués, tantôt il place dans le creux de ses mains des fruits que ses mains inertes laissent rouler sans cesse, jusqu’à ce qu’enfin un léger rayon de la lune tombe à travers la fenêtre et ouvre les yeux de Cynthia :

Donec diversas percurrens luna fenestras,
Luna moraturis sedula luminibus,
Compositos levibus radiis patefecit ocellos.

Quel joli tableau et quel cadre charmant ! On croirait le voir sur un mur d’Herculanum ; mais il n’y a rien dans cette poésie au-delà des lignes et des contours matériels, rien qui rappelle l’atmosphère idéale de la chambre d’Imogène. Dans la bouche du poète païen, ces rayons mêmes de la lune, consolateurs de l’attente, sont plus froids et ont moins d’ame que cette petite flamme de bougie qui vacille et se penche vers la paupière de l’héroïne de Shakspeare.

Keats, le jeune et malheureux poète dont M. Chasles nous a raconté, avec une critique si juste et si morale, la courte vie et la poésie luxuriante, Keats a peint, lui aussi, ce même tableau ; mais, chez lui, le poète de l’émotion moderne contraste plus vivement encore avec le païen qui vient de passer devant nous. Le petit poème de Keats est une chaude passion et une naïve superstition amoureuse qui s’irradie dans un fantastique chrétien et chevaleresque, comme une clarté de la lune filtrant à travers le treillis et les verres peints d’une rosace gothique. C’est la Veillée de Sainte-Agnès. On dit que, dans la froide veillée de apparaître leurs amans, si elles ont jeûné, si, couchées dans leur lit, ne regardant ni à côté ni derrière elles, elles adressent au ciel, les yeux levés en l’air, une fervente prière. Madeline, l’amante de Porphyro, parti pour les errantes aventures, éloignée de lui par la haine de son père plus encore que par l’absence, accomplit, avec un virginal trouble de cœur, les rites pieux C’est fête, cette nuit-là, au château paternel. La pompe féodale triomphe dans l’ondoyante foule des dames et des cavaliers qui déborde parmi les salles illuminées avec le tourbillon des danses et des fanfares. Dans ce tumulte étincelant, Porphyro, revenu le jour même de ses longs voyages, s’est glissé et se cache à l’ombre des piliers. Tandis que Madeline, impatiente de l’heure bénie, soupire au milieu des jeunes seigneurs qui l’entourent, et danse, l’œil sans regard, la respiration courte et pressée, perdue dans l’attente du miracle de sainte Agnès, Porphyro a touché le cœur d’une duègne aussi tendre que la nourrice de Juliette, qui l’introduit dans le doux nid de Madeline. Avant minuit la jeune fille quitte la fête et s’envole comme une colombe effarée.

« Sa bougie s’éteignit à mesure qu’elle entrait, et la petite fumée mourut dans