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reux. Or, qu’arrive-t-il au socialisme ? Un malheur, hélas ! qui est arrivé aux mystiques, et auquel n’échapperont jamais ceux qui méconnaissent dans leur orgueil ou dans l’ardeur démesurée de leurs désirs les conditions et les limites du réel. Pour avoir voulu s’élever au-dessus de la nature humaine, le socialisme tombe au-dessous, et, suivant la forte expression de Pascal, en voulant faire de nous des anges, il nous abaisse au niveau des bêtes.

Aucune secte socialiste n’a pu se soustraire à cette loi. On rêve une société parfaite, et, pour la construire, on commence par supprimer la famille, qui en est le fondement naturel, et la propriété, qui en est le ciment. On fait appel aux sentimens les plus purs du cœur humain, et bientôt, par une communauté des biens plus ou moins déguisée, qui appelle à sa suite la communauté des femmes, on excite les passions les plus basses, on enflamme toutes les espérances brutales, tous les appétits déréglés. On proclame dans l’état modèle une harmonie, une subordination, une unité parfaites, et, en attendant, on arme l’individu contre le gouvernement au nom de droits imaginaires et de convoitises trop réelles. En un mot, parti d’un idéal d’organisation accomplie, on arrive à réduire la société à une véritable poussière d’hommes, à je ne sais quelle juxtaposition d’individualités isolées, avides, hostiles, sans lien avec le passé ni avec l’avenir, sans traditions et sans espérances, véritables brutes qui ne diffèrent des autres qu’en ce qu’elles ont des caprices infinis et des appétits insatiables.

Ce caractère commun de tous les socialistes est si visible de nos jours, il est si particulièrement imprimé dans les publications de l’écrivain effréné, de l’esprit violent qui passe pour le plus dangereux de nos sectaires, et qui en est à coup sûr le plus clairvoyant, que beaucoup d’excellens esprits ont vu l’essence et le fond du socialisme dans ce qui n’en est que le dernier abaissement. C’est le sentiment avoué d’un homme d’état, qui, dans un livre récent, a signalé avec sa haute sagacité, cette fois bien tardive, la force réelle du socialisme. L’auteur de la Démocratie en France considère la question en homme politique, et le socialisme est pour lui tout entier dans son plus habile interprète, le seul qui possède à un haut degré l’esprit pratique et le sens révolutionnaire. À ce point de vue, il est vrai que le grand levier du socialisme contemporain, c’est l’appétit de la jouissance matérielle, appétit égoïste et athée qui veut s’assouvir à tout prix, sans retard et sans mesure. C’est là un côté réel, mais ce n’est qu’un côté du socialisme ; pour être plus complet et plus juste, il faut être moins sévère ; il faut reconnaître que le socialisme de nos jours, comme celui du passé, n’exprime pas seulement la tendance naturelle de l’homme vers le bien-être matériel, tendance légitime, d’ailleurs, en une certaine mesure, et qui est aujourd’hui plus forte et plus irrésistible que jamais. Non ; la portée du