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même bande de jeunes mauvais sujets continua le jeu en jetant des fruits à la tête des collecteurs, en plein marché ; ces deux espiègleries eurent naturellement le plus grand succès auprès de cette population de vagabonds et de gens sans aveu qui abonde dans toutes les grandes capitales, et qui était alors à Naples plus nombreuse qu’ailleurs, vêtue de baillons, dormant sur le pavé, vivant d’aumône et de rapine, et se multipliant à l’infini, grace à la douceur du climat et à l’absence de toute police. Ce fut cette population qui fit tout.

Le nom bien connu de ces hommes à moitié nus était à lui seul une menace contre la société. Ils s’appelaient eux-mêmes Lazares, par allusion au pauvre de l’Évangile, couché devant la porte du mauvais riche dont les chiens viennent lécher ses ulcères, et à qui il demande en vain les miettes tombées de sa table. De tous les cris de ralliement qu’a pris à diverses époques la guerre sociale, celui-là a été peut-être le plus significatif. Tout le monde connaît la fin de la parabole évangélique : Lazare est transporté après sa mort dans le sein d’Abraham, tandis que l’ame du riche est plongée dans les enfers ; apercevant Lazare, le riche lui demande une goutte d’eau pour étancher sa soif au milieu des flammes qui le consument, mais Abraham lui répond qu’ayant été heureux dans la vie, pendant que Lazare souffrait, il est juste qu’il souffre à son tour, pendant que Lazare est dans la joie : parole terrible, dont les passions humaines peuvent trop facilement abuser, en essayant de transporter dans cette vie le châtiment qui attend dans l’autre le mauvais riche, et en se constituant juges de ce que Dieu seul doit juger. C’est Abraham qui, dans l’Evangile, prononce l’arrêt vengeur, ce n’est pas Lazare ; mais, quand on prend un pareil nom, on est bien près de confondre les degrés de juridiction : c’est ce qui arriva aux Lazares de Naples. Furieux et fiers à la fois de leur longue misère, ils s’arrogèrent le droit de punir ceux qu’ils accusaient d’en être les auteurs, et ils n’aboutirent qu’à se rendre plus misérables encore.

Quand les Lazares se virent maîtres de Naples, leur première pensée fut de mettre le feu à quelques palais. Ces désordres commencèrent, comme toujours, avec une certaine régularité ; le peuple se montrait violent, destructeur, mais par colère, non par cupidité ; il voulait être juste et désintéressé dans sa vengeance. « Les incendies, tant du premier jour que du reste de la semaine, dit l’écrivain contemporain que j’ai déjà cité, furent accompagnés de circonstances notables qui seront à peine crues de la postérité. La première, que cette populace, en saccageant les maisons des receveurs et des autres intéressés en l’exécution des gabelles, ne brûlait pas seulement leurs plus précieux meubles, dont la perte monta à plusieurs millions, mais jetait encore dans le feu l’argenterie, les pierreries et les sacs tout pleins de monnaie qu’elle y rencontrait, n’épargnant que les tableaux de dévotion