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parut ; Lesage essuya le fard, détruisit les apparences, souleva les masques. Les livres de l’espèce de celui de M. Thackeray, qui raille l’hypocrisie avec une étincelante verve et une brillante vigueur, annoncent, dans un avenir plus ou moins éloigné, la chute ou la destruction progressive des institutions qu’ils parodient. M. Thackeray bat en brèche les mœurs anglaises actuelles, toutes fondées sur l’aristocratie et sur l’ascension permanente, normale, des classes secondaires et inférieures se confondant avec les classes nobles. Aussi la publication de Vanity Fair a-t-elle produit une vive impression, presque un scandale.

Qu’est-ce donc que Vanity Fair ? nous allons le dire.

Avez-vous jamais visité quelque foire de village, en Angleterre, en Allemagne, en Flandre, pays où la tradition de ces vieilles fêtes populaires n’a pas entièrement disparu ? Que de personnages ! quelle foule bigarrée ! que d’illusions et quel vacarme ! Des saltimbanques s’exercent, des escamoteurs enchantent le peuple, des sorciers transforment l’eau pure en vin de Bourgogne et font sauter la muscade. Ici l’on danse, là on se grise, plus loin la loterie fait briller ses espérances, et leurre d’un éternel prestige les imaginations avides. On achète de vieilles porcelaines ébréchées pour du vrai saxe, et des bijoux de chrysocalle pour de l’or. Tout le monde est trompé, tout le monde est joyeux. C’est un vrai sermon moral en action qu’une promenade au milieu de tant de vanités et de folies. Géans factices, prestidigitateurs hardis, magiciens frauduleux, musique bruyante, absence de repos et de réalité, beaucoup de bruit, peu de plaisir, partout des masques, les habiles se mêlant à la foule et les dupes plus satisfaites que les clairvoyans : n’est-ce pas la société elle-même dans un état de civilisation extrême ? Là-bas, sur ces tréteaux qui sont plus en vue, ces marionnettes splendides, ce sont les gens du grand monde. Il y a long-temps que, sur un énorme cahier qui est resté blanc, j’ai inscrit ces mots : Mes Acteurs. Je comptais y reproduire avec une fidélité entière les caricatures tristes et gaies qui nous environnent tous depuis le berceau ; — Arlequins sérieux qui nous saluent du haut de leur grandeur éphémère et tâchent de faire un sceptre de leur batte ; — Pierrots politiques ou spéculateurs ; — Cassandres littéraires : le métier m’a soulevé le cœur. En France d’ailleurs, on a renversé les tréteaux, foulé aux pieds les masques, battu les passans, pillé les échoppes et mis le feu aux quatre coins de la foire. Il ne fait plus bon s’y promener. Arlequin est devenu bandit, et Pierrot, dont je ne peux plus rire, est là, avec sa dent noire et sa main crochue, tout prêt à me voler ma défroque. Au lieu de gambader artistement sur la corde raide, les uns sont apostés le pistolet en main au coin de leurs labyrinthes métaphysiques où derrière leurs pamphlets crénelés ; les autres fuient dans les bois avec un peu de butin