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progrès qui s’accomplissait en réalité par elle. Utile ou non, la réforme électorale avait le dangereux privilège de servir de drapeau commun à toutes les oppositions. N’y avait-il pas là un conseil significatif à l’adresse du gouvernement de juillet ? Il devait d’autant moins hésiter à s’emparer de l’arme qu’on tournait ici contre lui-même, qu’il le pouvait sans danger. L’expérience lui avait appris que l’accession graduelle des catégories déshéritées dans les rangs électoraux grossissait la majorité conservatrice, bien loin de l’affaiblir. Plus il avait pénétré avant dans les masses, ou l’attendaient, au dire des partis, de sourdes rancunes, plus il s’était fortifié. Dira-t-on, pour la millième fois, que cette majorité était factice, qu’elle était le produit de la corruption ? Si cette accusation avait jamais été sincère dans la bouche de ceux qui la formulaient, il faudrait rougir pour tant d’inepte aveuglément. Le nombre des électeurs parlementaires, qui n’étaient eux-mêmes qu’une minime fraction du corps électoral, s’élevait à deux cent quarante mille, dont les deux tiers au moins, soit cent soixante mille, votaient pour la politique conservatrice. Or, quel était pour chaque législature le nombre des créations d’emplois, des avancemens au choix, des préférences facultatives dans le tracé des voies de communication, des faveurs de toute nature qui pouvaient plus ou moins dépendre du gouvernement ? Portez-les, si vous voulez, à dix mille, chiffre qui dépasse toutes les bornes du possible. Pour gagner dix mille électeurs, le gouvernement aurait donc été obligé d’en éconduire de s’en aliéner chaque fois plus de cent mille ; la majorité conservatrice aurait donc dû aller décroissant bien loin de s’accroître, à moins de supposer que plus de cent mille consciences vendues et non payées aient bénévolement consenti à faire, durant quinze années, crédit à la corruption administrative… Passons. Dira-t-on, comme on l’a fait encore pour expliquer le progrès de la majorité conservatrice, que les électeurs indépendans, saisis de lassitude et de dégoût, s’abstenaient de plus en plus, laissant ainsi, chaque fois, un plus vaste champ aux électeurs corrompus ? Ici, comme ailleurs, les chiffres répondent. La proportion des votans aux inscrits, qui n’était, en 1831, que de 75 pour 100, s’était graduellement élevée, d’après une progression continue et qui ne s’est arrêtée qu’une seule fois, en 1842, par suite de la coïncidence du vote avec les travaux de la moisson, à 83 pour 100, proportion de 1846. L’accroissement de la majorité conservatrice correspondait donc à l’empressement des partis et non point à leur lassitude. Sous quelque aspect qu’on envisage, en somme, les résultats électoraux des dix-sept dernières années, le gouvernement de juillet avait plus de motifs pour accepter la réforme que pour la redouter.

LOuis Philippe justifie ses résistances à une réforme qui eût ouvert la porte à l’abaissement indéfini du cens par l’attitude des légitimistes.