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la dette flottante et les fonds public, et de dire à ceux qui l’écoutaient. « J’ai un fils à Calcutta sur qui je peux tirer pour dix mille livres slerling quand je veux et sans me gêner. » La bonne femme, mistriss Sedley, grondait son unique servante, analysait la qualité du sucre et critiquait la saveur du thé, exerçait son active surveillance sur la boucherie et l’épicerie, querellait sa fille à propos du petit George, allait au service divin tous les dimanches vêtue de ses plus beaux atours et se donnait les satisfactions de la royauté domestique sur une plus petite échelle, mais avec autant d’activité et un intérêt aussi vif que dans l’époque de splendeur où elle commandait à dix personnes. Pourquoi le démon de la spéculation vint-il troubler ce repos et détruire cette prospérité ? Ce fut un grave et cruel échec pour la vanité de Joseph, qui venait d’obtenir une place dans les bureaux du trésor public de Calcutta, lorsque la poste lui apporta un paquet de ces prospectus maudits avec une lettre de Sedley père, informant son fils qu’il comptait sur lui dans cette affaire et qu’il avait consigné au compte de Joseph une certaine quantité de vins de choix pour la valeur desquels il tirait sur lui en lettres de change. On allait donc savoir que le père de Joseph Sedley, du trésor public, s’était fait marchand de vins ! Joseph refusa les lettres de change. Le papier protesté fit retour et fut remboursé avec les bénéfices réalisés sur les fournitures et une partie des économies d’Amélie.

Outre sa pension annuelle de 50 livres sterling, elle possédait une somme de 500 livres, qui, selon l’exécuteur testamentaire de son mari, appartenait à la veuve. Dobbin, comme tuteur de George, proposa de les placer à 8 pour 100 dans une maison qui faisait le commerce des Indes. M. Sedley, croyant que le major avait de mauvaises intentions sur l’argent de son pupille, s’éleva fortement contre ce plan ; il alla lui-même chez le banquier pour protester contre l’emploi qu’on voulait faire de cet argent ; là, il apprit, à sa grande surprise, que jamais cette somme n’avait été entre les mains du banquier, que tout l’actif d’Osborne ne montait pas à 100 livres, et que, quant aux 500 livres, c’était sans doute une autre somme dont le major Dobbin avait une connaissance particulière. De plus en plus convaincu de quelque friponnerie, le vieux Sedley écrivit à Dobbin et lui demanda ses comptes. Dobbin fut obligé d’avouer la ruse et de confesser son généreux mensonge.

Amélie donnait à ses parens les trois quarts de la pension que Dobbin lui faisait, ce menteur Dobbin qui avait imaginé le beau conte relatif à l’héritage de son ami. Le reste était voué à l’éducation de George, qui devenait, comme tous les enfans qui restent long-temps entre les mains des femmes, volontaire, impérieux, aimable et gâté. Déjà quelques filets d’argent se mêlaient à la brune chevelure de la veuve, qui